: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes: OTAN
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dimanche 23 janvier 2022

Guerres pour l'Eurasie - Ukraine - extrait 2016

JM Lemonnier, 2016

Lien avec l'actualité. Voici ce que j'écrivais en 2016. Cela n'a jamais été publié. Les références sont un peu datées mais l'analyse s'est avérée correcte. Aucune correction n'a été apportée au texte original.

- L'Ukraine

Les manifestations qui ont débuté à Kiev le 21 novembre 2013 suite au refus du président ukrainien Viktor Ianoukovitch de signer un accord d'association avec l'Union européenne a engendré de profonds troubles dans toute l'Ukraine entraînant la désagrégation de l'unité territoriale, quoique déjà fragile - d'aucuns diront factice - du pays. Ces protestations qui sont d'abord le fait d'étudiants et de citoyens, pour certains favorables au rapprochement de leur pays avec l'Europe communautaire, mais également pour d'autres à une souveraineté du pays plus affirmée. Il est vrai que nombre de médias occidentaux ont analysé ces manifestations comme un désir des Ukrainiens de faire entrer leur pays dans l'Europe communautaire et d'en finir avec l'influence russe sur le pays. Ces mêmes médias ont aussi pointé du doigt une prétendue répression radicale et sans nuances des manifestants par les forces de l'ordre. Pourtant, les rapports de blogueurs ukrainiens et russes et les images filmées montrent des scènes d'émeutes où on l'on voit des manifestants préparer puis lancer des cocktails molotov sur des  policiers[1]. Il est désormais, également prouvé, que les tirs à balles réelles qui, selon les médias dissidents ukrainiens anti-Ianoukovitch et les médias euro-étasuniens, auraient été le seul fait des policiers, venaient bien aussi de manifestants et militants nationalistes ukrainiens. Une enquête réalisée par la télévision allemande révèle que les snipers étaient bien des manifestants réfugiés dans des bâtiments hors de contrôle des autorités[2]. Si l'on veut admettre que la révolte est avant tout populaire et naît en réaction à la corruption du pouvoir d'Etat, ce mal endémique qui gangrène le pays depuis des décennies, elle a en tout cas rapidement été récupérée par des formations politiques d'orientations libérales : celle de l'ancienne premier ministre Ioulia Tymochenko, celle du boxeur Vitali Klitschko et par des nationalistes ou des partis d'extrême-droite[3], principalement le parti Svoboda d'Oleg Tyahnibok considéré comme néo-nazi par le centre Simon-Wiesenthal et qui déclare en 2004 que l'Ukraine est dirigée par une "mafia judéo-moscovite". Le groupe paramilitaire "Secteur droit" créé en 2013 et transformé par la suite en parti politique ouvertement pro-nazi, dirigé par Dmytro Iaroch, contribue de manière notable à l'exacerbation des tensions lors des manifestations Euromaïdan, avant de prendre part aux combats dans l'est de l'Ukraine dans les mois qui suivront les premières émeutes à Kiev.  La figure tutélaire de ce parti et groupe armé est le nationaliste Stefan Bandera, héros ukrainien de la Deuxième Guerre mondiale qui dirigea l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) puis l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-B). D'abord soutien zélé au IIIe Reich hitlérien, Bandera pensant profiter de l'occupation allemande de l'Ukraine (URSS) pour mener son pays vers l'indépendance est désavoué par les nationaux-socialistes en 1941. Bandera qui souhaite créer un Etat ukrainien indépendant contrarie les plans hitlériens prévoyant de transformer les territoires de l'est en simples colonies allemandes. Le chef nationaliste est envoyé en camp de concentration mais mourra assassiné par les services secrets de l'URSS.

L'ancien candidat à la présidentielle étasunienne John Mac Cain fera le déplacement jusqu'à Kiev pour apporter son soutien au mouvement Euromaidan. C'est finalement Petro Porochenko en mai 2014 qui profite de la déstabilisation du pays pour se faire élire président de la république d'Ukraine, épaulé par le nouveau premier ministre, ancien banquier Arseni Iatseniouk, dans sa quête de rapprochement à marche forcée de l'Ukraine avec le BAO. Malgré la démission du, il est vrai, corrompu président Ianoukovitch (d'ailleurs transformé en dictateur par la presse américano-occidentale aux ordres), la rupture est de toutes façons consommée entre le pouvoir central kievite et les populations de Crimée et d'Ukraine orientale (principalement la région du Donbass, bassin industriel) majoritairement favorables à un rapprochement avec la Russie. La guerre éclate en Ukraine entre la fin 2013 et le début de l'année 2014. Le bilan humain reste encore à établir. On avance le chiffre de presque 6000 morts. Il est, certes, déjà monstrueux, mais il est à craindre qu'il ne s'alourdisse. Le massacre d'Odessa de mai 2014 est un de ces épisodes atroces de cette guerre. Suite à des affrontements entre séparatistes et militants de l'organisation néo-nazie Secteur droit (Pravy sektor), 40 séparatistes opposants au nouveau pouvoir de Kiev périssent brûlés dans la Maison des syndicats d'Odessa, là où ils avaient trouvé refuge pour échapper aux militants d'extrême-droite ukrainiens. Ces derniers après avoir mis le feu au bâtiment, regardent des hommes et des femmes bruler vifs sans même tenter de leur porter secours. Aucune indignation de la part des dirigeants du monde euro-américain et Catherine Ashton représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères promet l'ouverture d'une enquête... La veulerie des médias est à l'image de l'hypocrisie et du silence des gouvernements des pays euroccidentaux et des commentaires de leurs intellectuels organiques à propos de ce drame. Caroline Fourest, "l'intellectuel faussaire" (Pascal Boniface) accuse même la Russie d'avoir provoqué cette situation et soupçonnent les suppliciés de l'avoir un peu cherché. Le successeur des Bernard-Henry Levy et autres André Glucksmann[4] ou encore Romain Goupil, sur tous les fronts depuis la Bosnie jusqu'à la Libye et la Syrie, est déjà trouvé. Le lendemain du massacre, la presse écrite du BAO écrit  laconiquement : "Des dizaines de morts lors d'affrontement à Odessa" (Le Figaro), "Odessa : 31 morts en marge des affrontements" (Libération) reprenant le texte du communiqué officiel du gouvernement ukrainien. . L'Ukraine méridionale et orientale est donc depuis le début de l'année 2014, le théâtre d'un conflit armé entre milices séparatistes majoritairement soutenues par les populations locales et les forces armées du pouvoir kievite.

La dimension religieuse et culturelle du conflit n'est pas à minorer. Le conflit ukrainien est, pour partie, une réactivation de la vieille opposition entre Ukrainiens catholique et gréco-catholiques de l'ouest et du centre du pays et Ukrainiens orientaux russophones majoritairement chrétiens orthodoxes. Il ne se limlite pas à cela. Il est aussi est révélateur (pour le grand public) de la division du monde orthodoxe ; les Eglises ukrainiennes étant en conflit avec le patriarcat de Moscou présent en Ukraine à travers ses paroisses et monastères. 

Cette guerre en Europe a pour conséquences graves la dislocation du pays : la péninsule de Crimée et toute la partie orientale de l'Ukraine (nouvelles républiques de Lougansk et de Donetsk) appelée par ses protecteurs "Nouvelle-Russie" ont fait sécession. Le projet "Novorossia" (abandonné ou en sommeil depuis mai 2015) n'a, cependant, pas été soutenu par les autorités russes qui restent prudentes sur cette question de l'autonomie de l'ex-Ukraine orientale. Une indépendance de la Nouvelle-Russie restreinte aux républiques de Lougansk et Donetsk ou beaucoup plus vaste (cf. carte) est à exclure pour le moment. Cette prudence de Moscou ne peut se comprendre que si l'on accepte l'idée que la Russie, contrairement à ce que martèlent les stipendiés de la presse du BAO, est respectueuse du "droit international" contrairement à d'autres Etats. Il est, à ce propos, intéressant de comparer le nombre d'opérations extérieures, guerres ou coups d'Etat, menés ou soutenus par les Anglo-étasuniens depuis la fin de la deuxième guerre mondiale  avec ceux entrepris  par l'URSS puis la Russie sur la même période.

La Russie n'a donc pas perdu son accès à la mer Noire (la puissance navale russe en mer Noire n'est, par ailleurs, rien en comparaison de celle de l'OTAN) et à la méditerranée de fait. Dans le cas contraire, la progression de la thalassocratie dans le contrôle du Rimland aurait franchi une étape supplémentaire. La Russie a dès lors la possibilité de constituer, de fait un front eurasiatique de Moscou à  Simferopol (Crimée) en passant par Minsk (Biélorussie) et Tiraspol (Pridnestrovie) retardant l'avancée de l'Union européenne et de l'OTAN vers l'est européen. En outre, la réunification de la Crimée avec la Russie suite au référendum de 2014 n'a été reconnue par aucun Etat au monde. Quant à la République populaire de Donetsk et à la République Populaire de Lougansk, Etats sécessionnistes qui devaient se fondre dans le projet de république confédérale portant le nom de Nouvelle-Russie, elles sont actuellement reconnues par la seule Ossétie du Sud, Etat qui n'est, lui-même, au début de l'année 2016 uniquement reconnu que par la Russie, le Venezuela, le Nicaragua et Nauru

Le jeu du Bloc-Américano-Occidental en Ukraine

On ne doit donc pas résumer l'Euromaïdan et tout ce qui a suivi à une question de politique intérieure, ni à un conflit régional opposant une Russie impérialiste (l'idée émane, en France, autant de l'extrême-gauche trotskiste et libérale à la Olivier Besancenot que des nationalistes pro-croate qui soutiennent aujourd'hui les milices nationalistes ukrainiennes). La lecture, entre autres, du livre de Zbigniew Brzezinski "Le grand échiquier" paru en 1997 dont la thèse centrale est que tout ce qui nuit à l'hégémonie américaine doit être combattu, permet de remettre l'ensemble de ces événements en perspective. Brzezinski identifie "sur la nouvelle carte politique de l'Eurasie, au moins cinq acteurs géostratégiques ainsi que cinq pivots géopolitiques (...) La France, l'Allemagne, la Russie, la Chine et l'Inde sont des acteurs de premier plan (...) L'Ukraine, l'Azerbaïdjan, la Corée, la Turquie et l'Iran constituent des pivots géopolitiques cruciaux" (Brzezinski, 2011 : p. 69). Dans ce livre Brzezinski détaille les ambitions étasuniennes de domination du monde qui, cependant, contrairement à celle d'un G. W Bush ne se veut pas unilatérale. Pour l'ancien conseiller à la Maison Blanche, la domination globale étasunienne passe par une coopération avec l'Europe. Mais pour que ces ambitions étasuniennes s'accomplissent, il faut empêcher la création d'une Europe d'Etats souverains, limiter au maximum l'influence de la France sur le plan international et faire bien évidemment de cette dernière, comme de l'Allemagne, de la Pologne et de l'Ukraine de serviles vassaux des Etats-Unis. La politique étrangère française depuis au moins la présidence de Nicolas Sarkozy va dans le sens du projet défini dans "Le grand échiquier".

Dans ce même ouvrage, nous lisons que la Conquête de l'Est et la reconfiguration politico-économique et territoriale de la Russie font partie des projets de l'Etat étasunien profond. "Une Russie plus décentralisée aurait moins de visées impérialistes. Une confédération russe plus ouverte qui comprendrait une Russie plus européenne, une république de Sibérie et une république extrême-orientale" (Ibidem : p. 258-259). Le politologue étasunien expose ici, ni plus ni moins, qu'un projet de partition de la Russie, soit sa disparation en tant qu'Etat centralisé. L'expression "Balkans eurasiens" utilisée par Brzezinski (chapitre 5 de son livre) correspond à la fois une politique pro-active empêchant la Russie de retrouver son ancienne aire d'influence et une géographie. Les Balkans eurasiens de Brzezinski se composent des pays du Caucase, à savoir la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie et de ces pays d'Asie Centrale que sont le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan le Tadjikistan,  l'Afghanistan, et le Pakistan. En dehors de ce dernier, tous sont d'anciennes républiques socialistes soviétiques. Ces Balkans d'Eurasie forment ce que l'on appelé (à tort) le  "ventre mou" de la Russie. A tort aujourd'hui, car en effet, la stratégie étasunienne dans la région n'a fait que renforcer ce "ventre mou". Le renforcement de la surveillance russo-tadjike, l'appui sur la population tadjike nord-afghane, l'armement et la coopération avec les forces armées et de polices tadjiks, installation de forces armées russes (201e division motorisée) prêtes à intervenir au Tadjikistan ou dans la région proche ou encore la présence depuis les guerres des années 90, de la 58e armée en Tchétchénie qui peut compter sur la loyauté des troupes musulmanes de Kadyrov, et capable d'intervenir dans la Région (en Géorgie) sont des éléments, parmi d'autres encore, qui permettent d'affirmer que le "ventre mou" s'est endurci... A ces pays appartenant à ces deux grands ensembles spatiaux (Caucase et Asie centrale), on peut ajouter la Turquie et l'Iran, deux Etats beaucoup plus viables politiquement et économiquement que les précédents et qui mènent une lutte d'influence pour devenir la puissance dominante dans la région des "Balkans eurasiens". Malgré leurs atouts, ces deux pays restent très fragiles sur la question ethnique. La déstabilisation d'un seul de ces deux Etats entrainerait celle de tout l'espace caucaso-centro-asiatique et du Moyen-Orient.

Le conflit énergétique, de 2005 à 2009, entre la Russie et l'Ukraine est aussi à resituer dans cette logique d'affrontement entre le BAO et la Russie. Le gaz russe qui transite par l'Ukraine assure l'approvisionnement énergétique de l'Europe atlantique. Ces crises gazières portant sur des questions de prix et de distribution du gaz, opposant l'entreprise russe Gazprom à l'ukrainienne Naftogaz, ont eu de lourdes conséquences dans les différents Etats de l'Europe communautaire, a fortiori sur ceux de l'Europe centrale et orientale et balkanique. A l'hiver 2009, certains ont vu leur approvisionnement en gaz russe, dont ils sont largement dépendants, chuté vertigineusement (Hongrie, Roumanie, Pologne...), d'autres dans les Balkans ont cessé d'être alimentés par cette même source. C'est à ce moment que l'Europe atlantique a décidé de se tourner un peu plus vers les Etats de la Caspienne en privilégiant les accords avec le Turkménistan notamment. Cette stratégie devait permettre la création d'un corridor énergétique gazier et la création de gazoducs (White Stream, Nabucco, Nabucco West) en Europe du sud-est à proximité du Moyen-Orient, tout en diminuant la dépendance de l'Europe communautaire à l'égard de la Russie et de l'Iran qui avec le contrôle du détroit d'Ormuz possède toujours une arme stratégique redoutable. On voit ici que le facteur énergétique entre parfaitement dans la stratégie d'encerclement du Heartland. En outre, cette situation - gazoducs transitant par son territoire - a largement profité à la Turquie devenue partenaire incontournable de l'Europe atlantique. Mais le Turkménistan et d'autres Etats de la Caspienne ont aussi conclu des accords avec la Russie, l'Iran ou la Chine (présente au Kazakhstan depuis la fin des années 90) exploitant des ressources gazières et à l'origine de projets d'oléoducs.

Or donc, ce plan devant interdire à la Russie de reprendre prise sur une partie du Rimland a globalement échoué mais il est toujours d'actualité. Les Etats-Unis (BAO)  manipulent les minorités ethniques des pays ciblés contre la population dominante - le rôle de l'Allemagne lors le putsch d'Euromaïdan, le même que durant le processus de dislocation de la Yougoslavie est insigne - pour renverser les régimes hostiles à leur politique hégémonique. Géographiquement située à la jonction du bloc ouest-européen et de l'ensemble continental russe-eurasiatique, l’Ukraine occupe  donc une position stratégique de premier plan. L'appui des Etats-Unis à l'admission de l'Ukraine dans l'OTAN depuis le début des années 2000 constitue, de toute évidence, une grave menace pour la stabilité (même relative) du continent européen, en même temps qu'une provocation pour Moscou qui voit dans les manœuvres de Washington la continuation de sa politique d'endiguement de la Russie jamais abandonnée depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Démonstration est faite que les Etats-Unis et l'OTAN, ce qui revient pratiquement au même, mais aussi l'Europe communautaire  (les Etats membres de l'OTAN en Europe devant à terme être les mêmes que ceux appartenant à l'Union européenne) sont derrière le coup d'Etat de l'hiver 2013-2014.

Conséquemment à la crise du Maïdan de la fin de l'année 2013, un affrontement armé va opposer dès le début de l'année 2014, l'armée régulière ukrainienne, à laquelle se sont joints des mercenaires engagés dans les milices nationalistes, parfois des djihadistes et d'anciens combattants de Tchétchénie, aux séparatistes du Donbass. Près de 6000 morts sont déjà à déplorer. Les combats mettant face à face l'armée régulière ukrainienne (associée aux mercenaires à la solde du régime de Kiev) et les forces séparatistes dans le "chaudron de  Debaltsevo" dans l'oblast de Donetsk ont été parmi les plus meurtriers du conflit ukrainien. Très rapidement, l'armée ukrainienne, faute de moyens et malgré l'aide financière du BAO, doit faire à de nombreuses désertions dues à un manque de motivations des combattants et aux conditions de vie précaires dans le Donbass. Kiev craint également que ses soldats ne finissent par rejoindre les rebelles de l'est. Par conséquent, en mai 2014, suite aux référendums d'autodétermination dans le sud (Crimée) et dans la partie orientale de l'Ukraine (Républiques de Donetsk, Lougansk), le régiment Azov (en référence à la mer du même nom) est créé par Kiev. Sous commandement du ministre de l'intérieur le bataillon Azov, qui intègre la Garde nationale ukrainienne en septembre 2014, regroupe environ 800 soldats ukrainiens en provenance de l'ouest et du centre de l'Ukraine, auxquels viennent rapidement s'ajouter des mercenaires venus de toute l'Europe : vétérans des guerres yougoslaves à la fois Croates, Français, Suédois, Polonais, Allemands mais aussi des ressortissants des Pays Baltes. Ce régiment comme d'autres (bataillons Dnipro, Aidar, Donbass) est principalement financé par l'oligarque milliardaire Ihor Kolomoïsky, de nationalité ukrainienne, israélienne, chypriote, ancien président du Conseil européen des communautés juives, et fondateur du "parlement juif européen"[5]. Il est connu pour avoir appelé au meurtre d'un député russe en 2014. Cette organisation paramilitaire financée par un sioniste est en fait une milice internationale d'extrême-droite (l'extrême-droitisme, faut-il encore le rappeler, n'est pas synonyme de nationalisme) ne se cachant pas d'utiliser des symboles néo-nazis et responsables d'actes de tortures dans cette guerre d'Ukraine. Dans le camp séparatiste, l'internationalisation du combat apparaît aussi. On retrouve des combattants de même nationalité dans les deux camps : l'un pro-russe donc ou anti-Kiev, l'autre que l'on peut considérer comme pro-BAO. Nous identifions deux camps, tant il est difficile de donner une réelle consistance et une véritable autonomie (à tous les niveaux et contrairement à une organisation terroriste comme l'EIIL) au camp du "ni Moscou, ni axe Kiev-Bruxelles/Berlin-Washington" dont se réclament les "nationalistes" ukrainiens qui n'ont pu resurgir et ne survivent aujourd'hui que grâce à la complicité du BAO. Or donc, des Français partisans d'une Grande Europe qui irait de la péninsule du Kamchatka à l'Islande voire encore plus loin à l'ouest (la  Nord-Amérique francophone) et qui se retrouvent dans les théories du Belge Thiriart ou du Russe Douguine auxquels ils adjoignent donc la défense de la "francité". A ces volontaires appartenant à cette "France parallèle" (par opposition à cette France officielle et atlantiste), il faut compter sur des Serbes, des Espagnols, des Roumains, des Polonais qui partagent cet idéal d'un Bloc continental eurasiatique. Ces jeunes Européens partisans d'une union continentale d'orientation post-libérale, socialiste et traditionnelle sont donc devenus les frères d'armes des combattants séparatistes russophones anti-Kiev donc anti-BAO. Ces soldats-militants mènent une révolution sociale, nationale et continentale contre le "monde moderne" et pour la défense des valeurs traditionnelles communes à plusieurs courants religieux ou philosophiques. La pensée Grande-continentale qui rejoint celle des néo-eurasistes à la Douguine en la dépassant (donc non russo-centrée et polycentrique, "francitaire", l'Europe occidentale et orientale non réduite à un partenaire de la Russie) revendique à la fois un héritage spirituel européen de l'orthodoxie aux paganismes eurasiatiques (indo-européens ou non) en passant par le catholicisme et l'islam, mais aussi, bien sûr, une ligne politique critique à l'égard de l'idéologie du progrès. Après les accords de Minsk II (voir ci-après), nombre de ces volontaires quittent l'Ukraine après avoir passé parfois un an et demi sur le théâtre des opérations.

Parmi les personnages remarquables, emblématiques de cette résistance à la fois anti-Kiev, antifasciste, anti-OTAN donc anti-impérialiste, devenus des héros pour le peuple du Donbass mais aussi pour de nombreux Russes, on trouve Arseny Pavlov dit "Motorola", chef du bataillon du même nom qui s'est illustré dans différentes batailles contre les forces armées du régime de Kiev, notamment à Ilovaisk ou à Donetsk lors des combats pour la prise de l'aéroport. La popularité de cet homme dont les autorités ukrainiennes ont annoncé sa mort à de nombreuses reprises dans un but de démoralisation est très forte chez tous ceux qui le reconnaissent comme un authentique combattant pour la libération de l'Europe.  Une autre des grandes figures de la rébellion du Donbass est Igor Strelkov commandant des forces d'auto-défense de la République populaire de Donetsk puis ministre de la Défense de cette république. En mai 2014, dans un entretien accordé au journal russe Komsomolskaïa Pravda, il définit les objectifs des rebelles : "Les milices populaires formées de la population locale veulent évidemment que la république de Donetsk ne dépende plus de la volonté de la junte de Kiev [nom donné à la nouvelle classe politique ukrainienne] ni de celle qui viendra la remplacer. 80 % de la population souhaitent le rattachement à la Russie. La motivation de ceux qui sont venus avec moi et qui se joignent à nous est plus large. Ils disent : 'Nous ne voulons pas nous arrêter à ce qui a été obtenu, nous voulons aller plus loin et libérer l’Ukraine des fascistes' "[6].  Pavel Goubarev  idéologue de la "Nouvelle-Russie" et homme politique est un personnage de premier plan dans cette guerre qui touche les régions russophones d'Ukraine orientale. Enfin, faut-il mentionner les propos d'Ivan Okhlobystine, acteur faisant partie des nombreux soutiens russes à la cause de la Nouvelle-Russie, projet dont l'aboutissement passe par le combat (géo-)politique et militaire mais aussi métaphysique,  spirituel : "En marge du territoire de la Novorossia passe aujourd’hui la ligne de l’opposition des ténèbres et de la lumière, du bien et du mal universel. Le cœur de la Russie bat sur la terre de la Novorossia et si, pour qu’il ait la paix au Donbass, il faut prendre Kiev, j’y suis prêt. Les guerriers de la Novorossia ont fait front pour défendre le monde orthodoxe contre la peste qui vient de l’Ukraine. Je suis en admiration devant chaque personne que je croise à Donetsk, qui s’est levée pour défendre la liberté et la vérité. La Russie n’a jamais imposé sa volonté au reste du monde, mais s’est toujours sentie responsable de tout ce qui s’y passe. Aujourd’hui les soldats de la Novorossia se battent au Donbass non pas contre le fascisme de Kiev, mais contre le mal mondial, l’hypocrisie et l’injustice. Que Dieu veille sur eux !"[7]. Le protocole de Minsk de septembre 2014, signé par la Russie, l'Ukraine et les Républiques de Donetsk et de Lougansk  sous la conduite de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) devant assurer un cessez-le-feu bilatéral a échoué. Les sommet de Minsk II de février 2015, réunissant Angela Merkel François Hollande, Vladimir Poutine, Petro Poroshenko président de l'Ukraine, Alexandre Zakhartchenko chef et premier ministre de la République populaire de Donetsk, Igor Plotnitski chef de la République Populaire de Lougansk reprend, pour partie, les propositions de Minsk I, impose l'arrêt des combats à partir du 15 février 2015, crée un espace démilitarisé ("zone tampon") élargi par rapport à celui prévu par MINSK I et engage l'Ukraine sur la voie de la fédéralisation. Pour autant des combats ont toujours lieu...Une offensive majeure de l'armée ukrainienne, appuyée par la force otanesque, contre les partisans de la Nouvelle-Russie visant à rattacher de nouveau la Crimée et les territoires de l'est à l'Ukraine est, cependant, encore possible. Il est, néanmoins, impossible, aujourd'hui, de dire quelle serait l'ampleur du désastre pour l'Ukraine, l'Europe et immanquablement le monde si une telle action devait être entreprise.

Nous savons, par ailleurs, que sur les autres fronts où s'opposent, de manière indirecte le Bloc Américano-Occidental à la Russie et ses alliés syriens, iraniens et du Hezbollah, la situation est plus que tendue. La moindre provocation d'un des belligérants mènerait le monde vers le chaos. On doit insister sur le fait que les grandes zones de guerres que sont le Proche et Moyen-Orient et l'Ukraine, demain peut-être la Moldavie et à nouveau les Balkans sont proches des frontières russes ou correspondent à des territoires avec lesquels la Russie à des liens politiques, économiques et/ou culturels donc historiques très forts. Cet ensemble géographique correspond à ce monde où se déroule le Grand Jeu entre Orient et Occident et là où peuvent débuter les guerres mondiales...Rappelons que l'Europe orientale et balkanique ou encore la Turquie et la Syrie sont des territoires qui furent sous contrôle de Byzance puis de l'Empire ottoman...



[1] http://www.dailymotion.com/video/x1a204y_kiev-les-policiers-brulent-vivants-a-cause-de-cocktails-molotov_news, consulté le 22/01/2016

[2] Bruno Rieth, "Euromaidan : l'enquête qui jette le trouble", en ligne le 27/04/2014 http://www.marianne.net/Euromaidan-l-enquete-qui-jette-le-trouble_a238326.html, consulté le 22/01/2016

[3] Il y a, systématiquement, une distinction à faire entre partis d'extrême-droite et partis nationalistes

[4] André Glucksmann dont le fils Raphaël a été conseiller du président géorgien  Mikheil Saakachvili marié à la ministre de l'intérieur sous la même présidence géorgienne, puis devenue citoyenne ukrainienne et vice-ministre de l'intérieur dans le gouvernement Iatsenouk. On remarquera, au passage, le fort taux de "consanguinité" idéologique dans ces milieux pro-BAO

[5] http://www.crif.org/fr/tribune/le-pseudo-parlement-juif-europ%C3%A9en/30195, en ligne le 06/03/2012, consulté le 19/02/2016

[6] "Igor Strelkov, l’homme à la tête des milices pro-russes du Donbass", traduction française par Courrier de la Russie, http://www.lecourrierderussie.com/dossiers/sud-est-ukrainien/2014/05/strelkov-pro-russes-donbass/?v=f9308c5d0596, en ligne 01/05/2014, consulté le 19/02/2016

[7] "Acteur Ivan Okhlobystine : La Novorussie est l’épicentre de résistance contre le mal universel", http://novorossia.today/acteur-ivan-okhlobystine-la-novorussie-est-un-epicentre-de-la-resistance-contre-le-mal-universel/, en ligne le 19/01/2015, consulté le 19/02/2016

 Extrait d'un livre non publié, JM Lemonnier, 2016

ARTICLES LIES :

 https://jeanmichel-lemonnier.blogspot.com/search/label/Eurasie

https://jeanmichel-lemonnier.blogspot.com/2019/10/messianisme-et-eschatologie-chez-les.html

http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.com/2020/03/les-fronts-de-demainmatin-turquie-grece.html

https://jeanmichel-lemonnier.blogspot.com/search/label/Eurasie?updated-max=2019-10-31T16:00:00Z&max-results=20&start=2&by-date=false

https://jeanmichel-lemonnier.blogspot.com/2014/02/victoire-euro-atlantiste-en-ukraine-pas.html

dimanche 8 mars 2020

Guerres de et pour l'Eurasie (suite) - Guerres actuelles et fronts de demain : Turquie/Grèce-Syrie-Russie


Depuis le 11 septembre, les Etats-Unis ont assigné à la Turquie le rôle de "Pont civilisationnel" entre Orient Occident. Membre de l'OTAN depuis 1952, la Turquie est un allié de longue date de Washington. Les premiers accords de coopération entre les deux entités datent de l'époque de l'Empire ottoman, mais c'est surtout après la Deuxième Guerre mondiale que la Turquie devient un partenaire solide des Etats-Unis malgré les désaccords récents entre Washington et Ankara portant, en autres, sur la question kurde. La Turquie est considérée comme un grand allié d'Israël dans la région. Mais, les  condamnations récurrentes par Recep Tayyip Erdogan de la politique israélienne envers les palestiniens ont, cependant, quelque peu refroidi les relations entre les deux pays.

La Turquie est perçue dans le monde arabe comme l'héritière de l'Empire ottoman. Les Turcs veulent se différencier des Arabes et des Iraniens. De leur côté les Arabes se sentent peu d'affinités avec les Turcs et les Iraniens et ces derniers refusent d'être confondus avec les Turcs majoritairement sunnites et les Arabes sunnites ou non. La construction artificielle des Etats-Nations dans la région a eu pour conséquences désastreuses l'extermination de centaines de  milliers de personnes appartenant aux minorités ethniques et religieuses, notamment kurdes et palestiniennes. Le génocide arménien qui a fait entre 1,2 et 1,5 millions de morts est encore une plaie béante. Le retrait des Russes en 1917 suite à la révolution bolchévique favorise encore la politique d'extermination menée contre les Kurdes et Arméniens, mais également celle des Assyro-chaldéens et d'autres minorités présentes sur le territoire de l'Empire ottoman en pleine désagrégation. L'animosité sinon la haine entre les différents peuples de la région est encore très vivace. La détestation des Turcs pour les Arabes est très vive, à tel point que les signes de ce rejet du monde arabe se manifestent dans les écoles turques : dans les cours coraniques l'arabe est enseignée comme une langue morte... La Turquie, membre de l'OTAN, est par ailleurs considérée, à juste titre, comme l'alliée d'Israël. Qui plus est, l'alliance des voisins syriens et irakiens avec la Russie renforce encore la méfiance des Arabes envers les Turcs. Des contentieux historiques et toujours pas réglés pourrissent les relations entre la Turquie et ses différents voisins. Entre 2012 et 2015, les incidents à la frontière turco-syrienne se sont multipliés, des avions ont été détournés ou abattus. Les relations de la Turquie avec l'Irak ne sont guère plus cordiales. Aux signes de détentes entre les deux Etats succèdent des tensions en relation avec la forte présence kurde (PKK, parti des travailleurs du Kurdistan) dans le nord de l'Irak, surtout à l'époque de Saddam Hussein. L'assassinat de celui-ci par la coalition internationale (comprendre l'anglosphère) et la destruction en règle du pays par cette même coalition n'a pas vraiment changé la donne diplomatique entre ces deux pays, même si la zone kurde a pu représenter durant un moment une sorte de glacis protecteur pour l'Etat turc.

Erdogan ne pourrait supporter la défaite des islamistes en Syrie avec qui il commerce. Il existe en, effet, une route du pétrole de l'EIIL, avec pour centre de ce trafic, le port turc de Ceyhan. Un représentent des services de renseignements irakien expose la mécanique de ces opérations de contrebande pétrolière. Le pétrole est vendu au plus offrant et ce sont à la fois des Turcs, des Iraniens, des Syriens ou des Kurdes irakiens qui se disputent sur ce marché parfaitement illégal. Le pétrole part en camion de la province de Ninive (Nord de l'Irak) et arrive à Zakho au Kurdistan irakien, ville située à proximité de la frontière turque où les convois sont accueillis par intéressés sus-cités. Les camions franchissent ensuite la frontière (très poreuse avec la Turquie) pour atteindre la ville de Silopi en Anatolie du sud-est. A partir de là, il est impossible de connaître la provenance de l'hydrocarbure puisque les sources d'approvisionnement se confondent. Il est alors illusoire d'essayer de distinguer le pétrole de l'EIIL venu du territoire irakien contrôlé par l'organisation islamique, de celui extrait dans le territoire kurde irakien. Le pétrole est, ensuite, acheminé vers Israël par des sociétés de transport maritime, dont certainement celle de Bilal Erdogan, fils de l'actuel président turc. En conséquence, Israël peut être considéré comme un client de l'EIIL. Le ministre syrien de l'information Omran al-Zoubi est convaincu que la famille Erdogan est largement impliquée dans le trafic d'hyrdocarbures mais aussi d'œuvres d'art avec l'organisation terroriste : "All of the oil was delivered to a company that belongs to the son of Recep [Tayyip] Erdogan. This is why Turkey became anxious when Russia began delivering airstrikes against the IS infrastructure and destroyed more than 500 trucks with oil already. This really got on Erdogan and his company’s nerves. They’re importing not only oil, but wheat and historic artefacts as well ' "[1]. L'implication d'Israël dans ce trafic mafieux est, quant à elle, dévoilée  par le média al-Araby : "According to a European official at an international oil company who met with al-Araby in a Gulf capital, Israel refines the oil only "once or twice" because it does not have advanced refineries. It exports the oil to Mediterranean countries - where the oil 'gains a semi-legitimate status' - for $30 to $35 a barrel. 'The oil is sold within a day or two to a number of private companies, while the majority goes to an Italian refinery owned by one of the largest shareholders in an Italian football club [name removed] where the oil is refined and used locally," added the European oil official. 'Israel has in one way or another become the main marketer of IS oil. Without them, most IS-produced oil would have remained going between Iraq, Syria and Turkey. Even the three companies would not receive the oil if they did not have a buyer in Israel' said the industry official. According to him, most countries avoid dealing in this type of smuggled oil, despite its alluring price, due to legal implications and the war against the Islamic State group"[2]. On comprend donc bien la nervosité d'Ankara depuis le début de l' intervention russe. L'aviation russe détruit, en effet, régulièrement des convois. Depuis le début des opérations militaires au Levant, la Russie doit donc se méfier de la Turquie censé pourtant combattre les groupes djihadistes. L'armée turque occupe le nord de la Syrie et s'oppose aux Kurdes syriens. Depuis de nombreuses années, la Turquie d'Erdogan est une alliée du Qatar qui a, notamment, financé les Frères musulmans en Egypte mais aussi Daech et qui souhaite la chute du président syrien. En conséquence, quand l'armée russe a commencé à bombarder les positions des djihadistes salafistes dans le nord de la Syrie, Moscou est finalement entrée en conflit avec Ankara. Le 24 novembre 2015, après plusieurs semaines de tensions turco-russes, un bombardier russe Soukhoï Su-24, accusé d'avoir violé l'espace aérien turc est abattu par un F-16 turc. Un événement sans précédent depuis des décennies. C'est en effet la première fois depuis la guerre de Corée. qu'un appareil russe est la cible d'une armée d'un Etat membre de l'OTAN. Le bombardier russe abattu et l'assassinat d'un pilote russe ont été un prétexte pour exacerber la stratégie de la tension menée par le président turc Erdogan. Le lieutenant-colonel Oleg Peshkov qui a réussi à s'éjecter de son avion - avec son camarade qui lui a survécu - a donc été tué par Alparslan Celik, chef de la brigade turkmène syrienne, cinquième colonne d'Erdogan en Syrie. Les jours précédents l'attaque de l'avion et l'assassinat du militaire russe, la brigade turque avait dû reculer face à l'offensive des forces armées Syriennes agissant en coordination avec l’aviation Russe dans la province Nord de Lattaquié, située à proximité de  la frontière turque. Conséquemment à ces actes terroristes perpétrés par le pouvoir turc, la réaction de Moscou ne s'est pas faite attendre : suspension des relations commerciales entre les deux pays, expulsion des entreprises turques travaillant en Russie, etc. Ce boycott a généré des pertes financières faramineuses pour l'économie turque. Erdogan n'a pas anticipé la réaction de l'ours russe. Les forces syriennes loyalistes progressent et repoussent les combattants de l'EIIL grâce au soutien de l'aviation russe. Le nord de la Syrie est peu à peu libéré des groupes terroristes.

De surcroît, Erdogan ne peut envisager l'idée d'un Etat kurde aux frontières de la Turquie. Mâter les rebelles kurdes est la préoccupation d'Ankara bien avant la lutte ou pseudo-lutte contre l'EIIL à laquelle la Turquie feint d'adhérer. Dans le sud-est de la Turquie, à majorité kurde, des combats entre l'armée turque et le PKK ont repris à l'été 2015. Cette lutte à mort entre le pouvoir central et les rebelles a déjà fait 40000 morts depuis une trentaine d'années. C'est, d'ailleurs, en partie grâce aux bombardements turcs visant les positions kurdes que les djihadistes de l'EIIL progressent dans certaines zones. Les Kurdes sont accusés de perpétrer tous les actes terroristes qui touchent la Turquie, comme ce fut le cas suite à l'attentat de février 2016. Les organisations kurdes PKK (Parti des travailleurs) le PYD (Parti de l'union démocratique) branche syrienne du PKK et ses miliciens de l'YPG qui revendiquent un Kurdistan syrien et combattent autant Ankara que Damas, sont désignés comme les responsables de l'attentat du 17 février 2016 qui a fait 28 victimes et visé des fonctionnaires civils de l'état-major et des soldats de l'armée. "Même si les dirigeants du PYD et du PKK disent qu'il n'y a aucun lien avec eux, sur la base des informations obtenues par notre ministre de l'Intérieur et nos services du renseignement, il a été établi que (l'attentat) avait bien été commis par eux" déclare Erdogan après les attentats. Le président turc souhaite l'arrêt des bombardements russes sur les positions de ses alliés islamistes et utilise le prétexte des attentats pour tenter de justifier une intervention des troupes turques et saoudiennes en Syrie.

Enfin, des mouvements de troupes turques ont été observés vers les frontières de la Turquie avec la Grèce et la Syrie. Depuis le début de l'année 2016, des avions militaires turcs violent régulièrement l'espace aérien grec. Le 15 février 2016, on recense vingt violations de l'espace aérien grec par des chasseurs turcs ! La Turquie conteste depuis des décennies la souveraineté la Grèce sur une partie de la Mer Egée, à la question de la délimitation des eaux territoriales s'ajoute donc celle de l'espace aérien. De surcroît, depuis 1974, la question chypriote participe évidemment à créer un climat de tension extrême entre les deux Etats. Le peuple  de la partie grecque de l'île étant bien entendu soutenu par la Russie. L'ensemble de ces éléments peuvent laisser craindre un possible conflit entre la Turquie et la Grèce, toutes deux...membres de l'OTAN. Déjà en 1987 et 1996, un affrontement militaire fut près d'éclater à propos des litiges territoriaux gréco-turcs. En Grèce, l'idée (la "Grande idée", "Megali Idea") de réunir les peuples grecs au sein d'un même Etat resurgit à intervalles réguliers dans les débats politiques[3]... Le souvenir du massacre de 360000 chrétiens grecs de la zone pontique par les Turcomans au début du XXe siècle est, en outre, profondément ancré dans la mémoire collective grecque[4]... 




Signalons que la Turquie possède une base militaire nucléaire étasunienne sur son territoire (2016)... Enfin, il faut insister sur le fait qu'Erdogan, à l'occasion, ne craint pas de rappeler la glorieuse époque de l'Empire ottoman dont la Turquie serait l'héritière. Certains petits nationalistes turcs sont toujours nostalgiques de l'Empire et le pantouranisme visant à l'unification des peuples de langues turques et finno-ougriennes est une idéologie qui a ses défenseurs à Ankara mais également à Budapest[1]. La Turquie cherche, depuis des décennies, avec plus ou moins de succès à étendre son influence, perdue après la disparition de l'Empire ottoman, aux Balkans mais aussi au Caucase. Il n'est pas anodin de rappeler que durant les guerres yougoslaves - même si durant le conflit Ankara tient une position que l'on peut qualifier de modérée sinon de neutre - une frange de la population bosniaque musulmane brandit des drapeaux turcs lors de  manifestations à Sarajevo...
A l'automne 2015, une guerre ouverte entre la Russie et la Turquie n'a jamais été aussi près d'éclater. Ankara menace régulièrement de fermer le détroit du Bosphore à la marine russe. Une telle décision menacerait directement la survie des troupes russes basées dans le gouvernorat de Lattaquié. Poutine ne peut répondre militairement aux provocations du vieil ennemi turc mais chacune d'elles peut potentiellement transformer ce conflit larvé entre la Russie et ses alliés d'un côté et les puissances de l'OTAN de l'autre en une nouvelle déflagration mondiale. Le 14 mars 2016, Poutine, considérant que les objectifs de l'intervention russe ont été atteints, ordonne le retrait d'une part de ses troupes en Syrie, tout en assurant que des bases aériennes seront toujours opérationnelles dans l'ouest de la Syrie (base navale de Tartous et base aérienne de Khmeymim à proximité de Lattaquié). Que nous dit cette décision brutale ? La Turquie qui brûle...d'envie d'envahir la Syrie a-t-elle les moyens de lancer une offensive contre la Syrie d'Assad ? En l'état des choses de cette première moitié du mois de mars 2016, une telle initiative serait très risquée pour la Turquie. D'une part, comme nous venons de l'écrire des troupes russes sont toujours présentes en Syrie. La Russie n'abandonne donc pas Assad et son peuple. D'autre part, l'intervention russe a permis au pouvoir central syrien de se renforcer (Assad a donc montré jusqu'ici une capacité de résistance impressionnante) tout en affaiblissant l'EIIL. Ces éléments font que toute entreprise guerrière dirigée par la seule Turquie est vouée à l'échec, à part si elle est soutenue par ses alliés du BAO, mais la dimension du conflit changerait alors de manière tout à fait radicale. Or, les Etats-Unis semblent de plus en plus se méfier du pouvoir turc actuel (comme des monarchies du Golfe) et il est fort possible que Washington et Moscou partagent le même objectif commun qui serait de pousser Erdogan vers la sortie. Les Etats-Unis avec Israël défendent le projet de Nouveau Moyen-Orient qui prévoit la partition de la Turquie et la Russie verrait d'un très bon œil la disparition de cette entité turque qui n'a pas abandonné ses rêves (creux ?) pantouraniens, de réunification - sous une forme ou une autre - des peuples turcophones des Balkans aux steppes d'Eurasie...
ARTICLES LIES : GUERRES DE ET POUR L'EURASIE

Extrait d'un livre non publié (Jean-Michel Lemonnier, 2016).

[1] Voir Lemonnier, JM. (2015). Les nouvelles relations magyaro-roumaines. Quelles conséquences en Roumanie ? Retours historiques, situation actuelle, perspectives. source : https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01179263/document









[1] "ISIS Oil Trade Full Frontal: "Raqqa's Rockefellers", Bilal Erdogan, KRG Crude, And The Israel Connection", http://www.zerohedge.com/news/2015-11-28/isis-oil-trade-full-frontal-raqqas-rockefellers-bilal-erdogan-krg-crude-and-israel-c, en ligne le 29/11/2015, consulté le 20/02/2016

[2] "Raqqa's Rockefellers: How Islamic State oil flows to Israel", http://www.alaraby.co.uk/english/features/2015/11/26/raqqas-rockefellers-how-islamic-state-oil-flows-to-israel/, en ligne le 26/11/2015,  consulté le 20/02/2016


[3] Couroucli, M. (2009). Le nationalisme de l'Etat en Gèce. In Dieckho , A. et Kastoriano, R. Nationalismes en mutation en Méditerranée Orientale, CNRS Editions, pp.41-59, 2002.<halshs-00352985, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00352985/document, mis en ligne le 14/01/2009


[4] Photiades, K. (1987). The annihilation of the Greeks in Pontos by the Turks. http://www.greek-genocide.org//docs/the_annihilation_of_the_greeks_in_pontus.pdf, consulté le 02/04/2016