Les menaces intérieures en Russie
L'islam wahhabo-salafiste
L'islam fait partie du paysage religieux russe depuis
le Moyen Âge. Cette religion s'implante sur le territoire de l'actuelle Russie
au VIIe siècle au moment de l'expansion du Califat. C'est d'abord le Caucase
Nord puis la Volga, par l'intermédiaire des Tatars et des Kazhars, qui voient
s'implanter la nouvelle religion. Le conflit entre christianisme orthodoxe et
islam connaît une explosion paroxystique au moment de l'affrontement entre
l'Empire russe et l'Empire ottoman. Accusés d'avoir collaboré avec l'Allemagne
nazie durant la Deuxième Guerre mondiale,
nombre de musulmans sont persécutés sous Staline. La plupart des musulmans,
majoritairement sunnites-hanafites, cohabitent cependant généralement sans
heurts avec les autres communautés religieuses du pays. La réussite du
"modèle de Kazan" au Tatarstan permis, notamment, par les réformes de
Catherine II ayant mené à la création d'un islam "libéral", est la
preuve de la réussite du modèle pluriethnique et plurireligieux russe. Malgré
cette entente cordiale entre différents groupes religieux, des musulmans
refusant le pouvoir central russe ont toujours existé. Depuis l'implantation de
l'idéologie wahhabo-salafiste après la dislocation de l'URSS cet affrontement a
pris une nouvelle tournure. Des réseaux relevant de l'islam radical, liés à
l'Arabie saoudite, au Qatar et à la Turquie ont été déployés en Russie durant
plusieurs décennies, tout autant dans le Caucase du Nord (Ciscaucasie) que dans
d'autres régions de Russie. A mesure qu'augmentent les flux migratoires des
populations musulmanes vers les grandes villes russes, les réseaux islamistes
se développent et finissent par quadriller une large part du territoire russe.
Cette assertion ne devrait choquer personne, puisque ce sont bien chez les
immigrés et/ou les naturalisés russes, en provenance du monde musulman - qui ne
se réduit pas au monde arabe - que se recrutent principalement les nouveaux
jihadistes. L'islam radical sunnite est devenu très populaire au sein des
populations qui ne se retrouvent pas dans la vision géopolitique (interne et
externe) du pouvoir central et de ses représentants dans les différentes
régions du pays. Peu à peu se sont donc créés, dans toute la Russie, des
réseaux terroristes bien structurés liés à l'Etat islamique et ce bien avant la
création de l'EIIL. Car en effet, cet affrontement entre le pouvoir central et
les islamistes sunnites salafistes donne lieu aux terribles combats de la
première et la seconde guerre de Tchétchénie, qui se déroulent respectivement
de 1994 à 1996 et de 1999 à l'année 2000. Des jihadistes combattent à la fois
le pouvoir central mais aussi les musulmans sunnites-soufis du Caucase Nord ou
Ciscaucasie (les musulmans du sud du Caucase ou Transcaucasie sont
majoritairement chiites comme en Azerbaïdjan, pays limitrophe de l'Iran, ou en
Géorgie où la minorité musulmane est principalement chiite). C'est donc une
lutte entre islam wahhabite-salafiste d'importation voulant imposer la Charia
dans le Caucase sous influence russe et un islam dit traditionnel, le soufisme
rempart à la barbarie, qui fait rage dans cette région.
Or donc dans les années 90, après une période de
flottement, Moscou prend conscience qu'une indépendance de la Tchétchénie
donnerait des idées à d'autres régions de Russie et intervient militairement
dans le Caucase. La Turquie héritière de l'empire ottoman qui eut toujours des
visées sur le Caucase, l'Arabie Séoudite et d'autres pays du Golfe
arabo-persique, quant à eux, conscients de la fragilité du pouvoir russe et de
l'intérêt qu'ils pourraient tirer d'un Caucase formé d'Etats chariatiques
prennent contacts avec les rebelles tchétchènes et daghestanais. Les islamistes
et nationalistes turcs, à l'instar des "Loups Gris" (Bozkurtlar),
organisation paramilitaire d'extrême-droite qui opère aujourd'hui en Syrie, ont
fourni leurs contingents de combattants pour la guerre en Tchétchénie. Les
Bozkurtlar ont également formé des milices dans d'autres zones du Caucase et
notamment en Azerbaïdjan lors de la guerre pour le contrôle du Haut-Karabagh dans les années 1990 (Avioutskii, 2005
: p. 248). Un conflit en plein cœur de la Transcaucasie qui n'a pas cessé
depuis des décennies mais qui s'est durcit en avril 2016. Le Séoudien Ibn al- Khattab, dit
l'émir Khattab, mort en 2002 en Tchéthénie, vétéran de la première guerre
d'Afghanistan, a combattu au Tadjikistan, en Azerbaïdjan puis en Tchétchénie où
il a formé et converti des combattants à la doctrine salafiste-wahhabite. Il
crée avec Chamil Bassaïev, indépendantiste tchétchène qui s'engage au début des
années 90 aux côté des rebelles de Ciscaucasie (Caucase du Nord), la Brigade
islamique internationale du maintien de la paix responsable du déclenchement de
la deuxième guerre de Tchétchénie. En
avril 1998, Katthab déclare : "Avec
l'aide d'Allah Nous allons plongé la Russie dans l'état dans lequel la
Tchétchénie actuelle se trouve...nous allons continuer jusqu'à ce que le
drapeau noir victorieux du jihad se déploie sur le Kremlin".
C'est à cette époque qu'Oussama Ben Laden fonde "le Front mondial du Jihad
contre les Juifs et les Croisés" avec l'objectif de créer un califat
mondial. L'EIIL reprendra cette idée dans les années 2000...
Cependant le
conflit qui oppose les islamo-nationalistes tchétchènes aux légalistes tchétchènes fidèles à Moscou et au
pouvoir central russe ne se limite pas, strictement, à ces deux guerres. De la
dislocation de l'Union soviétique et l'apparition des mouvements séparatistes
tchétchènes postcommunistes largement soutenus par l'Arabie saoudite, les
Etats-Unis, le Pakistan jusqu'aux années 2010, une série d'attentats, de prise
d'otages vont réorienter la politique intérieure russe vers une ligne
patriotique intransigeante envers les sécessionnistes du Caucase à partir de la
seconde (ou deuxième ?) guerre de Tchétchénie. Le bilan des actions meurtrières
visant des civils et attribuées aux wahhabo-salafistes du Caucase est extrêmement
lourd. En 1995, la prise d'un hôpital à Boudennovsk fait 150 morts. En 1996,
une prise d'otage à Kizliar au Daghestan fait au moins 80 morts. Entre le 31
août et le 13 septembre 1999, 300 personnes succombent à des attaques
terroristes tchétchènes en Russie. En 2002, la prise du théâtre Dobrouvka de
Moscou fait 128 morts parmi les otages. Le 9 mai 2004 alors qu'il assiste à une
célébration officielle à la mémoire des combattants de la Deuxième Guerre
mondiale, le président tchétchène Akhmad Kadyrov est assassiné à Grozny. C'est
son fils Ramzan
Kadyrov, ennemi tout comme son père des wahhabo-salafistes, qui lui succèdera des années plus
tard en 2007 après avoir été vice-premier ministre puis premier ministre de la
République de Tchétchénie. Du 1er au 3 septembre 2004, une prise d'otage se
déroule à Beslan. 1000 personnes sont retenues dans une école en Ossétie du
Nord par les séparatistes tchétchènes. 331 civils dont 186 enfants périront au
terme de celle-ci. En 2011, un attentat-suicide à l'aéroport de Domodedovo à
Moscou fait 37 morts. La liste est encore longue...
Il est, cependant, très difficile de dire quelle est
véritablement la dimension du problème de l'islam radical, essentiellement sunnite, en Russie. Il
apparaît évident que nombre d'attentats ont été déjoués depuis des années par
les services de renseignements russes. Néanmoins étant donné que le soutien
financier en provenance des Etats voyous de la péninsule arabique et de la
Turquie n'a toujours pas cessé (les derniers événements en Turquie/ coup d'ETAT étasunien (?) avorté de juillet et rapprochement avec la Russie, changeront-ils la donne?), il est fort probable que de nouvelles attaques
suicides aient lieu, voire une nouvelle guerre dans le Caucase, région qui jouxte toute la
zone de conflit proche et moyen-orientale actuelle, finisse par éclater. Une
part des membres de l'Emirat du Caucase créée en 2007, dont l'objectif est
d'instaurer la charia dans le Caucase, a prêté allégeance à l'Etat islamique en
2015. "L'islam étasunien" du Caucase est donc une source de
préoccupations majeures pour le pouvoir russe. Il est à noter que les réseaux
islamistes des Balkans, de Bosnie et du Kosovo qui n'ont cessé d'être opérationnels
depuis les guerres yougoslaves des années 1990 sont financés et armés par les
mêmes autorités qui appuient la déstabilisation du Caucase. Les liens idéologiques entre les jihadistes
du Caucase et ceux du Moyen-Orient sont de plus en plus forts. Pour les Russes,
perdre le contrôle du Caucase c'est évidemment laisser échapper un accès à la
mer Caspienne et à ses ressources en hydrocarbures. Un tel renoncement est
inimaginable. La Russie doit donc faire face à cette menace permanente qui pèse
sur la sécurité nationale. L'intervention militaire de la Russie en Syrie mais
aussi le dispositif sécuritaire-militaire mis en place par Moscou dans le
Caucase et en Asie centrale doivent permettre de la repousser.
Une "cinquième colonne" et
une "sixième colonne"
Ce qui est appelé "Cinquième colonne" est un
réseau de forces d'opposition à la Russie poutinienne dont le noyau dur est
constitué par des libéraux pro-étasuniens, pro-BAO qui rêvent, sans doute, de
faire régresser la Russie à la situation dans laquelle elle se trouvait dans
les années 1990, c'est-à-dire la période Eltsine de mise à sac de la Russie, du
pillage du pays par l'étranger, de l'avènement du capitalisme sauvage. Les
libéraux seuls sont dans l'incapacité d'organiser une contestation du pouvoir
poutinien à grande échelle. Le soutien que leur apporte Washington est donc essentiel.
Les manifestations régulières, organisées par les prétendues "forces
démocratiques" anti-Poutine, qui se déroulent à Moscou sont ainsi
soutenues par l'administration étsaunienne. En mai 2012, par exemple, a lieu la
"marche des millions" durant laquelle les manifestants réunis sur la
place Bolotnaïa ont scandé des slogans comme "Le pouvoir des millions,
non pas des millionnaires!", "Poutine voleur! Poutine voleur! Poutine
voleur!", "À bas le tsar!", "À bas l’autocratie!". Réunissant des personnalités
dissidentes du
Parti communiste de Russie, du Parti socialiste, du Front de gauche, du Parti social-démocrate, du Parti
Solidarnost, mais aussi des nationalistes nostalgiques de la Russie tsariste ou
en encore des anarchistes et des militants pour la "cause homosexuelle",
ce défilé a mobilisé quelques milliers de citoyens russes. Cette expression de
mécontentement peu spontanée a vite tourné à l'émeute. Des subversifs
téléguidés, pour une bonne part, par des officines spécialisées dans les
opérations de déstabilisation de gouvernements non-alignés sur le Bloc
Américano-Occidental ont alors été arrêtés. On sait que
l'ONG russe Public Verdict Fundation dirigée par Natalia Taubina luttant pour
le "respect des droits de l'homme" et impliquée dans les émeutes de
mai 2012, n'a rien d'exclusivement russe si l'on considère ses soutiens. Ainsi peut-on lire sur le site de l'organisation :
"In 2011, the
Public Verdict Foundation was supported by The John D. and Catherine T.
MacArthur Foundation, the Open Society Institute Assistance Foundation, Oak
Foundation, the European Commission, the UN Voluntary Fund for Victims of
Torture, the National Endowment for Democracy, the Norwegian Helsinki
Committee, and by private donors". On reconnaît, par exemple, dans
cette liste de soutiens, The National
Endowment for Democracy (NED),
d'orientation essentiellement néo-conservatrice, fondée en 1983, qui reçoit des
fonds du Ministère des affaires étrangères étasunien mais aussi de monstres
capitalistes comme Coca-Cola, Google, Microsoft ou bien encore la banque
Goldman Sachs. Depuis 2012, le NED ne communique plus d'informations sur ses
activités avec les ONG "russes". Cette cinquième colonne, cheval de Troie de
l'anglosphère, pourrait jouer un rôle de premier plan, dans la déstabilisation
de la Russie. Le projet de l'Etat étasunien profond, autrement dit celui qui
associe lobby militaro-industriel et banque, capitalisme financier et idéologie
messianique judéo-protestante, reste stable, inchangé, élections après
élections des présidents quelle que soit leur couleur politique. Si certaines
opérations d'Agit-prop n'aboutissent pas, d'autres suivent irrémédiablement.
La sixième colonne est, quant à elle, constituée d'un
groupe de personnes agissant ouvertement au sein même du pouvoir central russe.
Il s'agir des libéraux pro-occidentaux (pro-BAO) qui sont arrivés au pouvoir
durant la première décennie du XXIe s. ou qui s'y sont maintenus depuis les
années 90, adoptant depuis les années 2000 un nouveau rôle dans le jeu
politique. Ce qui différencie la cinquième de la sixième colonne c'est le fait
que cette dernière est liée au pouvoir. Rien cependant ne distingue
idéologiquement la cinquième de la sixième colonne. Cette sixième colonne comme
la cinquième est évidemment favorable au Bloc Américano-Occidental et se pose
en défenseur des valeurs humanistes libérales. Essentiellement composée de
riches hommes d'affaires, d'oligarques, elle reste dans la légalité, défend des
valeurs patriotiques mais œuvre, néanmoins, en faveur d'autres intérêts qui
nuisent à la souveraineté nationale russe, à l'idéologie d'Etat même si à
Moscou parfois le pragmatisme l'emporte sur celle-ci. Ce réseau politique et
économique contribue à diffuser des idées libérales et participe à la
conversion de la populations à celles-ci. Parmi les figures importantes de ce
réseau de libéraux pro-BAO on peut citer l'actuel Premier ministre Dmitri Medvedev,
la gouverneure de la Banque centrale de
Russie Elvira Nabiullina, l'oligarque Anatoly Chubais homme politique et homme
d'affaires richissime, un des principaux responsables de la vague de
privatisation en Russie sous l'ère Eltsine dans les années 1990 ou encore parmi
d'autres, l'ancien ministre des finances Alexeï Koudrine (2000-2011) ainsi que
l'actuel ministre en fonction en 2016, Anton Silouanov. Malgré les réussites de
Poutine, successeur de Boris Eltsine à la toute fin de l'année 1999, qui a
réussi à redresser économiquement la Russie et à redonner une place à son pays
dans le grand jeu géopolitique mondial, cette sixième colonne continue à jouer
son rôle d'ennemi de l'intérieur. Une crise politique en Russie provoquée par
la collusion entre la cinquième et sixième colonne remettrait radicalement en
cause le travail effectué par Poutine. A moins que ce dernier n'agisse à temps
en limogeant les subversifs de la sixième colonne atlantiste, sorte
de "bourgeoisie comprador" véritable menace permanente pour une
Russie souveraine patriotique et eurasiatique. Un certain nombre d'indices militent
en faveur d'une refonte du système politique, économique et financier russe par
les patriotes russes. Les principaux sont la critique récurrente (2015-début
2016) de la politique du gouvernement de Medvedev ou encore la remise en cause
de l'action de la Banque centrale de Russie. Sans entrer dans les détails
techniques, la cause de la crise économique russe n'a, au vrai, que peu de
liens avec les sanctions économiques du BAO envers la Russie - la France de
François Hollande ayant fait preuve d'un grand zèle dans cette affaire - ni
avec la baisse du prix du pétrole mais avec la politique monétaire de la banque
centrale russe. Poutine a les "moyens matériels" d'en finir avec
cette sixième colonne ? Mais, le risque est considérable. Une telle option
susciterait des réactions radicales tant en Russie de la part des oligarques
fidèles à la ligne collaboratrice euro-atlantique de type Eltsine qu'à
l'international. Poutine a pu être perçu comme attentiste lors de différentes
crises graves que ce soit en Tchétchénie où il a attendu que les
wahabbo-salafistes attaquent le Daghestan avant de lancer son armée contre les
terroristes, en Géorgie en 2008 alors que Mikheil Saakachvili avait déjà
planifié l'assaut sur l'Ossétie du Sud avant que l'armée russe ne pulvérise
avec une puissance de feu terrible l'armée de l'agent de l'anglosphère. Nous
pouvons alors supposer que le président russe n'agisse pas contre les infiltrés
au cœur du pouvoir politico-économique
russe et laisse la colère populaire monter car il sait qu'elle sera dirigée
contre Medvedev et son gouvernement. De cette manière, Poutine n'aura plus qu'à
prendre des mesures visant à écarter les éléments qui travaillent de toute
évidence plus pour l'étranger que pour une Russie souveraine. De la sorte, le
président russe Poutine n'aurait pas besoin d'avoir recours à la force ou aux
arrestations musclées.
Pour comprendre la situation et effectuer un travail
de prospective permettant d'envisager des scénarios géopolitiques sur cet
espace centre-oriental européen, il faut continuer, comme nous l'avons fait
auparavant dans notre étude, à la fois à considérer les acteurs internes aux
Etats, les relations et les rivalités entre les puissances régionales en même
temps que le "jeu" des grandes puissances sur cet espace où à des
question de litiges territoriaux et de réaffirmations identitaires se mêlent
des problématiques d'ordre économique et énergétique. Il s'agit de conserver à
l'esprit qu'à des querelles interétatiques locales qui ne sont pas neuves - on
peut donc parler de "conflits gelés" - mais aussi à des questions de
politique intérieure viennent s'ajouter des enjeux globaux où l'on retrouve
cette opposition entre le BAO, la puissance thalassocratique et la Russie,
puissance de la Terre et que ces dernières n'hésitent pas à manipuler ou
favoriser telle ou telle "cause" pour défendre leurs propres
intérêts.
(court extrait de chapitre d'un livre, Jean-Michel Lemonnier, 2016, non publié par des éditeurs analphabètes certainement)
Avioutskii, V. (2005). Géopolitique du Caucase. Editions Armand Colin
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