Or donc, Clouscard démontre comment le mai 68
social a été liquidé par le mai 68 sociétal (bourgeois-estudiantin) acheté par
avance par le libéralisme, mais aussi la fonction du plan Marshall vis-à-vis du
C.N.R....Comment le ludique, le libidinal, la transgression vantés par la
"nouvelle gauche foucaldo-deleuzienne" ont permis le mutation
du capitalisme et l’émergence de nouveaux marchés, comment certains
progrès ont été détournés de leur usage (ou bien était-ce alors leur fonction
initiale ?), etc. L'usage progressiste (maîtrise de la natalité)
détourné par l'usage mondain, corporatiste. Allez faire comprendre, par
exemple, à l’électeur de "gauche RU486" que le phallocrate et la
facho-féministe sont deux faces d’une même pièce que la pilule (ne plus
s’emmerder avec une "poule pondeuse" ) mais aussi l’union
libre, la famille monoparentale, c’est le rêve du premier...
Le freudo-nietzscheo-marxisme
deleuzophrénique sera donc la doctrine qui justifiera la contre-révolution
capitaliste de mai 68 et le marché du désir. Ainsi donc, selon Deleuze et les
freudo-marxistes en général, l'inconscient produit les flux révolutionnaires du
désir. Ce sont donc ces flux qu'il faut libérer pour renverser la "vieille
société capitaliste répressive". Pourtant, à l'épreuve des faits, le
discours de rejet des valeurs répressives n'aboutit pas à une remise en cause
de l'ordre capitaliste. Bien au contraire, la permissivité et la prétendue
libération des mœurs permettent le sauvetage d'un capitalisme en crise,
celui de l'après-guerre : introduction de l'idéologie libertaire dans la
consommation (création de nouveaux marchés à destination des couches moyennes),
dans le monde de l'entreprise : fini le "vieux con",
le patron sévère et vaguement misanthrope en costard qui va à l'église le
dimanche, lecteur de Mauriac et amateur de musique baroque, place aux
"jeunes ordures" du néo-capitalisme libidinal, sociables et
narcissiques, fumeurs de cannabis (voir les rites d'initiation au modèle de
consommation du néo-capitalisme) en jean's et baskets Nike qui fréquentent les
boites porno-branchées d'Ibiza, fans de David Guetta et des Beatles...Le désir
coupé du procès de production est ainsi pure propagande de parvenus.
L'idéologie freudo-marxiste devra ainsi camoufler
les mœurs profiteuses du néo-capitalisme, des arrivistes, en modèle
transgressif et émancipateur vis-à-vis de la prétendue "vieille société
répressive" en libération des tabous par la circulation des flux
du désir, par la séduction. Schématiquement, le corps est alors présenté comme
un instrument de jouissance pour mieux nier le corps-instrument-force de
travail, de par incidence nier l’exploitation. Valoriser le sexe et le
genre et ignorer la classe, faire en sorte d'occulter cette lutte des
classes qui s'est pourtant généralisée, métamorphosée. Mais, il ne s'agit plus,
désormais, de se référer aux classes constituées, ontologisées ("les
ouvriers contre les bourgeois") mais de retracer leur engendrement
historique depuis la fin de la seconde guerre. Travail lamentablement refusé par
les "chercheurs" et autres théoriciens marxistes de seconde zone. Le
deleuzianisme (et tous ses rejetons idéologiques : genrisme/post-porno,
etc.) n'est donc pas contestation mais accomplissement du néo-capitalisme. Ce
discours confusionniste, faussement progressiste, de décervelage sera le
pouvoir de classe des parvenu-e-s de la nouvelle société. La levée des
interdits n’est que dressage des corps et conformisme total, écrasement des
âmes, soumission à la doxa du libéral-capitalisme deleuzien.
Outre son démontage rigoureux de l'idéologie
freudo-marxiste (ou libérale libertaire), Clouscard dévoile, à la fois, le
non-dit du marxisme et...de la psychanalyse. Chez lui, il n'y a pas de volonté
de destruction de cette dernière à la manière (deleuzienne) du philosophe du
jouir à la plage (dans le bac à sable) sagement et sans morale...Le philosophe
et sociologue Clouscard ne s'intéresse -il va sans dire...il va s'en dire- ni aux bruits de
couloirs, ni aux ragots. Il ne regarde pas l'histoire par le petit trou de la
serrure. Aucun marxiste mal dégrossi, genre "appareil" (si le chef de
secte n' a rien dit sur le sujet, c’est que c’est contre-révolutionnaire)
n'évoquera, par exemple, l'engendrement réciproque de Psyché (ici l’âme) et du
politique ou du psychoaffectif et du mode production, de l'Oedipe
freudien et de l'Oedipe de la praxis (le second surdéterminant le
premier). Le philosophe sudiste propose de faire remonter à
la surface la psychologie des profondeurs, "là où ça se
passe réellement", de démystifier les termes de la psychanalyse pour les
situer dans les rapports de production. La vérité de la chair n'est donc
pas si cachée et pas si inconsciente que cela. Dressage ! Clouscard est
donc authentiquement freudien et authentiquement marxiste et non pas freudo-marxiste.
Il rénove les pensées marxiste et freudienne sans les vider de leur essence.
Clouscard décode le parcours (humiliant) qui mène
de Cohn-Bendit à Le Pen (le retour du refoulé, de l’impensé de la nouvelle
société post-68) : le raté de mai 68, sans qualifications, qui dit n’avoir
pas trahi, ni renoncé (grande naïveté ou mauvaise foi ?) qui pensait vivre
de petits boulots après le retour à la campagne, possible dans les conditions
socio-économiques idéales de plein emploi et évidemment impossible après re-migration
vers la ville, boulot de grouillot...qui s’oppose donc au parvenu "il y a
des carrières-affaires après 68". Retour sur terre...ça ne l’empêchera de
continuer à planer mais avec grande maîtrise de cette consommation
ludique/marginale ("on n’aime pas les toxicos chez nous, on sait se
droguer"), et/ou partie de tennis et plongée pour décompresser et de
prendre la posture du rebelle mondain genre "docteur House
narcisse-cynique". Cela résume bien la situation politique actuelle : deux
grandes catégories, pas les seules, mais les plus représentatives du
psychodrame.
Désormais, le second se sent menacé. Le spectre
de l’interdit, de la castration resurgit. L’ado attardé se fait "père
sévère" (remarquez comme c’est comique au passage). De libertaire, il
passe à sécuritaire..., quand (les) Le Pen font accéder à la conscience de la
nouvelle société post-68, tout à fait opportunément, ce qui était nié
jusqu’alors par le libéral-libertaire : le producteur (le
premier..."Voici venu le temps des frustrés revanchards"). Sous les
pavés Le Pen, en effet... Effectivement, Clouscard ne s’est pas intéressé à Le
Pen dont l’unique fonction a été, pour la gauche (et la droite), de fournir une
figure du diable, de bête immonde aux suffrageants, empêchant alors
l’analyse clouscardienne de se déployer...
Évidemment, les jeunes faiseurs de Mai ont 70
balais aujourd’hui. Mais, il s’agit de deux situations originaires,
archétypales, fondatrices créées par deux "ancêtres mythiques" qui
auraient posé un geste in principio, aux origines, en ces temps
là...
Aucune idéologie désormais. A la place, une
bouillie apolitique de dames patronnesses (mâles ou femelles) :
"contre la peine de mort mais pour l'euthanasie", pédocentrée :
maternage névrotique et dans le même temps, refus d'éduquer et d'instruire,
négation de la différence parents-adultes/enfants, "sexualités
périphériques"..., démagogie face à l'oligophrénie adolescente,
tolérance-lâcheté, "il faut vivre avec son époque", la mondialisation
comme phénomène naturel, "libéralisme avec compensation",
judiciarisation des relations sociales, déresponsabilisation(s), spontanéité
"analphabète" jaillie des profondeurs de l'inconscient, etc. Un
brouet qui révèle de mieux en mieux le cloaque fétide qu’est devenue cette nature
humaine déchue (Clouscard n'utiliserait évidemment pas ce terme, sa critique
n'est pas "morale" au sens religieux) de l’ex-Occident.
La théorie clouscardienne (ni idéologie du
loisir-plaisir-hédonisme, ni idéologie du travail) a une portée comparable à
celle de la découverte de l’inconscient (L’Huma, 1981). Rien d’étrange à
ce que cet authentique intellectuel reste méconnu (ou méprisé par les
sociologues et philosophes si on doit encore leur donner un nom...) puisqu’il
s’attaque au cœur d’un système qui s’est mis progressivement mis en place après
1945 et dont mai 68 a fait la promotion (une vingtaine d'années pour la période
d'incubation, la France radical-socialiste plutôt rurale n'était, de toute
évidence, pas prête à subir ces mutations socio-économique, politique et culturelle
d'une violence inouïe au sortir de la guerre) et qui nourrit nombre de coteries
politiques, économiques, "intellectuelles"...
On peut cependant formuler des critiques à propos
de sa pensée. La première et la plus conséquente c'est l' absence de remise en
cause du productivisme. Toute l'écologie politique (même si une bonne part est
effectivement, aujourd'hui, totalement indigente : de Corinne Lepage à
Cécile Duflot en passant par les Nicolas Hulot et Maud Fontenoy) présentée
comme "chantage moral". On délocaliserait et on délocalisera, de plus
en plus, les usines pour des raisons de protection de l'environnement, la
"décroissance" ne serait qu'un concept flou, nouvel avatar du
gauchisme. Pourtant, des milliers de pages savantes existent sur le sujet et
n'ont rien de lubies néo-hippies : critique conjointe du
libéralisme-libertaire, des scories du progrès et du productivisme capitaliste
ou de type socialiste (Voir notamment N. Georgescu-Roegen, J. Ellul, S.
Latouche, l'anarchiste-conservateur, "socialiste sans le progrès",
J-C Michéa ou encore un précurseur comme G. Bernanos). De surcroît, la défense
d'un sport élitaire qui cohabiterait avec un sport pour les masses (on ne parle
pas ici de la nécessaire activité physique) est franchement discutable. En
voilà, un beau système d'illusion...de la vraie "fausse conscience"
(Engels) : sophismes sur le "beau jeu", la culture populaire, le
"sport, lieu de synthèse de ces deux principes anthropologiques"
figurés par Narcisse (le "plaire") et Vulcain ("le faire")...Sur
ce point, Michéa écrit la même chose que Clouscard. Malgré ces quelques
pirouettes rhétoriques, la réalité historique dit que le "sport
socialiste" n'existe pas et n'a jamais existé. C'est toujours le camp
capitaliste qui a imposé, impose et imposera ses règles, même dans le sport
amateur. Sur ce sujet, on lira donc G. Debord avec profit.
Malgré ces quelques réserves, plonger dans
l'œuvre de Clouscard c'est prendre le risque de ne pas pouvoir en assumer la
totalité et d'effectuer d'abominables contresens (sa critique du capitalisme
libidinal n'est pas celle d'un père fouettard mais bien une critique
marxiste, certes non-stalinienne mais bien entendu matérialiste).
Quoi qu'il en soit, Clouscard est toujours aussi
peu lu (surtout à gauche). Le grand public devra donc se contenter des débats
de merde entre Onfray (bon pédagogue au demeurant, mais cette qualité ne
fait pas de lui un penseur) qui vient de découvrir les vertus de
l'Etat-nation (et Hegel par la même occasion) et Zemmour (ou n’importe quels autres
publicistes interchangeables) et pour la "classe intellectuelle" se
satisfaire de la logomachie des mutants (de Panurge) de la déconstruction et
des sophismes bourdieusiens.
(1) Cette domination des
logorrhées foucaldo-derrido-deuleuziennes (French theory) dans les discours
universitaro-culturo-mondains est d'autant plus totale qu'elle a trouvée
peu de téméraires (en dehors des Clouscard, Quine, Michéa, Mandosio,
Bricmont-Sokal, Annie Le Brun dans une certaine mesure...) en mesure d'en
effectuer la critique radicale. En effet, l'opacité de ces écrits
"postmodernes" décourage rapidement toute initiative
de...déconstructions de ces déconstructions ; celui qui s'attellerait à
une telle tâche courant le risque de passer pour un imbécile "non-sachant"
s'exposant aux sarcasmes de sophistes pleins de
morgue, conspédants aux raisonnements vici
euxés ("
ceci
n'est ni un mot, ni un concept, ni un jeu de mots", Derrida...)...Au
cœur de la théorie du langage de Derrida on dit : on ne peut saisir
immédiatement le sens d'un discours ou ce que nous sommes sans passer par
des médiations, je ne suis pas ce que je pense être "je est un autre"
en somme (même si "je" n'existe pas selon Deleuze...). Bien pratique
pour tous ces imposteurs puisque je n'assume plus ce que j'écris, ni ce que je
suis... Nous ne parlons pas ici de personnes atteintes de certaines pathologies
qui se manifestent, entre autres, par des idées et un discours délirants mais
bien de ce quart-monde intellectuel pour qui l'incohérence des paroles et des
écrits sert à dissimuler une absence d'idées et à dire à peu près tout et son
contraire, de ce "subventionné" muni d'un outil scripteur, simplement
névrosé -et conscient de l'être- qui se prend pour un schizophrène !
Ainsi, plus c'est illisible, plus la mystification peut durer...et
l'inintelligibilité du discours présenté comme subversion pour échapper à la
"normativité langagière" est évidemment pure escroquerie...
Publié le 22:08/2015 sur Agoravox :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/socialisme-clouscardien-contre-170978