Traduction d'un discours de l'Amérindien Russel Means, Lakota-Oglala, décécé en 2012 : http://partage-le.com/2015/05/le-marxisme-est-aussi-etranger-a-ma-culture-que-le-capitalisme-russell-means/
Quelques unes de mes réflexions générales à propos de son discours :
A bien y regarder, Russel Means ne dit pas autre chose que Pierre Clastres :
refus de la fusion politique, rejet de l’État. Contre ça, on fait ou faisait la
guerre entre tribus. R. Means fut membre du parti libertarien US. On est loin
du "communisme primitif" amérindien avec Ron Paul et son État
minimal, évidemment, mais il y a de ça...Une société sans État ne peut fonctionner, a priori, que dans le cas de
petit(e)s groupes humains/sociétés.
Et là, les marxistes se plantent complètement dans leur "compréhension" des sociétés et mentalités "primitives". C’est Pierre Clastres, l’ethno-anthropologue qui a raison face aux
marxistes sur ce point. On comprend mieux alors la détestation de R. Means envers le marxisme (1) et
son "application historique" (État dirigé par une classe
sociale, dictature du prolétariat) qu’il met sur le même plan que le capitalisme
(traduction politique : État dans les mains d’une classe dominante :
bourgeoisie). Le sous-entendu permanent dans son discours c'est : pas d’
État !
Il faut préciser quand même que il n’y a pas un monde amérindien homogène.
L’empire de l’Inca hiérarchisé face aux Shuars, ça n’a pas grand chose à voir
par exemple. L’« Indien »’ reste une invention coloniale.
Cela dit, l’histoire des peuples amérindiens avant l’arrivée des Européens
n’est sûrement pas l’histoire de la lutte des classes en ce qui concerne les
petits groupes amérindiens : pas d’Etat, révocabilité du chef (sans
pouvoir au sens où les Européens l’entendent), pas de classes sociales et là la
grille de lecture marxiste est ; très souvent, parfaitement inadaptée pour comprendre ces
sociétés. C’est peut-être vrai uniquement dans le cas d’empires centralisés de
type Inca...
De même, la conception du temps linéaire qui est autant celle du capitalisme
que du marxisme (demain sera mieux qu’aujourd’hui, la ligne du
« progrès ») était étranger à ces populations (conception
cyclique/mythique du temps). De plus, ces sociétés se caractérisent(-saient) par leur grand
conservatisme et conformisme pas de place pour les "rebelles", pas
de "révolutionnaires".
Et encore, pour citer Clastres qu’ont les marxistes à dire sur les religions autochtones-cosmqiues ? Le mythe est l’opium est du
peuple ? Si Marx n'a jamais saisi la fonction protestataire de la religion, mais seulement sa dimension attestaire ("La religion est le soupir...", etc.) Ensuite, peut-être qu’après les tragiques "rencontres" avec le monde européen
(et sa vision réductrice des sociétés amérindiennes "les Indiens")
on peut voir quelque chose en rapport avec une lutte des classes.
Certains amérindiens n’ont plus pas qu’à rejoindre les mouvements
révolutionnaires marxistes. D’autres, en Amérique du Nord. se sont accommodés :
casinos sur les réserves, d’autres refusent. Mais là encore, différentes
utilisations de l’argent des jeux. : parfois redistribué à la communauté. Concernant les jeux, environ les 3/4 des bénéfices sont
redistribués à des firmes non-amérindiennes qui ont aidé à construire les
"casinos". Et seulement 1% (j'ai lu autre part : proportion à hauteur
d'1/3) des nations amérindiennes des EUA bénéficient des retombées financières
liées à ces jeux. Nombre de casinos des réserves sont d'ailleurs fréquentées par
des amérindiens pauvres, la plupart du temps. Une plaie aussi donc, ces
casinos.
Mais - et c’est fondamenta l- en Amérique du sud, il existe toujours des sociétés
amérindiennes qui sont étrangères (et implictemeent allergiques) à l’organisation en classes
sociales. Grande variété de situations. Souvent, un pied dans la
modernité : rejoindre la société dominante ? Combattre contre elle,
mais sous quelle forme en privilégiant quoi ? La dimension ethnique (les rouges
contre les blancs), sociale (opprimés contre exploiteurs), etc. ?
Enfin, je pense à une anecdote : une ONG qui souhaitait installer des
latrines au sein d’une communauté Kogi (Colombie) : le "développement" !
Les gens là vivaient depuis des lustres sans ces toilettes. Comment faisaient-ils depuis des siècles et des
siècles ? C’est risible, sans doute, mais ça montre bien que là encore, le
petit blanc qui pense venir en aide à ces peuples ne se rend même pas
compte de son ethnocentrisme, de sa connerie, du poison qu'est sa charité de dame patronnesse qui a conduit à la mort des milliers de peuples dits "premiers"...
Bref, les Blancs du monde euro-américain doivent en rabattre avec leurs idéologies
diverses...Donc R. Means (seul un gauchiste crétin peut penser qu'il raisonne comme un bourgeois) est parfaitement légitime dans son rejet à la fois du
marxisme et du capitalisme, tout en sachant que d’autres Amérindiens d'Indo-Amérique, du Nord ou du Sud ont fait des choix différents des siens...
(1) Ailleurs dans les Amériques, lors des renaissances amérindiennes des années 1970/panindianisme, on appellera "crime de la gauche marxiste" le fait de nier le culturel, l’ethnique, le religieux.