Pour Pierre Clastres, la
véritable révolution dans la protohistoire n'est pas à chercher du côté de
l'apparition de l'agriculture au néolithique mais au moment de l'émergence de
l'Etat. Ce dernier événement marque le véritable passage de la protohistoire à
l'histoire et la disparition des sociétés traditionnelles. En effet,
l'existence de sociétés agricoles n'est pas synonyme de bouleversement dans l'organisation
sociale des groupes humains archaïques. Et, pour empêcher l'apparition de
l'Etat - Clastres nomme ces sociétés premières,
sociétés contre l'Etat et non pas sans Etat, évitant ainsi le
positionnement ethnocentrique de l'observateur occidental moderne et qui
consisterait à dire qu'il manquerait quelque chose à ces sociétés - on fait la guerre. La violence - des conflits intertribaux- a pour fonction de faire
obstacle à la modification de l'ordre social et politique : empêcher
l'apparition d'un chef avec un pouvoir. S'il existe bien un chef dans ces
sociétés archaïques, celui-ci occupe un rôle symbolique au sein de celles-ci.
Tant que ce chef de pacotille existe, aucun cacique avec un pouvoir véritable
sur la communauté ne peut surgir. Il existe bien des personnages importants tel
le shaman, dans ces communautés amérindiennes, bénéficiant d'un certain prestige.
Celui-ci n'a, pour autant aucun pouvoir politique. Et bien qu'il soit, d'une
certaine manière le maître de la vie et de la mort, s'il échoue dans sa
mission, il est impitoyablement éliminé. En somme, ces sociétés contre l'Etat
sont les sociétés de l'ordre sans le pouvoir, autrement dit égalitaires, non
hiérarchisées empêchant, de fait, l'apparition de classes sociales. Contre les
marxistes, Clastres affirme donc que c'est bien l'exercice du pouvoir,
autrement dit l'Etat qui engendre la division sociale et le travail aliéné.
Les sociétés archaïques contre l'Etat
sont donc d'authentiques sociétés
acratiques, sans autorité(s), sans classes, sans rapports de
dominations/soumissions. Et même, s'il y a division de l'espace, avec des lieux
réservés aux femmes (le campement) et d'autres aux hommes (le domaine de la
chasse, la forêt), l'occupation de l'espace ne reflète pas ici une hiérarchie
entre les sexes. Aucun pouvoir ne
s'exerce pas ici. L'ensemble de la communauté est régie par des règles, certes,
mais elles existent pour maintenir la cohésion du groupe et non pas pour qu'un
individu ou un groupe d'individus puisse avoir l'ascendant sur un autre. Le
conservatisme dans ces sociétés est ou plutôt était (des Guayakis, il ne reste
plus rien par exemple) une condition de leur préservation. Tout ceci est
valable dans le cadre de petits groupes humains. (Voir notamment CLASTRES (P.). 2011, La société contre l'Etat,
Les Editions de Minuit). On peut également dire un mot sur l'opposition entre (les soi-disant) sociétés de la peur de la pénurie (pré-modernes ou anti-modernes) et sociétés d'abondance, à rebours du discours marxiste. Sur ce point l'anthropologue Marshall Sahlins rejoint Pierre Clatres. Ainsi les sociétés de chasseurs-collecteurs n'ont jamais été des sociétés de la peur de la pénurie, mais des sociétés d'abondance donnant, de fait, à ce dernier terme une définition totalement différente de celle communément admise dans nos sociétés des modernités. Ces sociétés archaïques produisent le nécessaire permettant de satisfaire les besoins du groupe. Pierre Clastres, l'anthropologue anarchiste confirme cet état de fait. L'activité productrice des sociétés traditionnelles indivisées socialement est limitée à la satisfaction des besoins alimentaires quotidiens sans qu'apparaisse la frustration du ventre. Et si des surplus sont dégagés, ils ne sont utilisés qu'à des fins socio-politiques (cérémonies, rituels initiatiques, visites d'étrangers etc.)...Pierre Clastres en
étudiant les groupes tribalites du Paraguay, les Guayakis "Rats
féroces" ou Aché, c'est-à-dire les personnes silencieuses et invisibles,
nous dit donc quelque chose de fondamental sur la société de l'être véritable...
à suivre...
Voir aussi sur ce BLOGUE : Pierre Clastres et Mircea Eliade :