Notre propos, ici, n'est pas de revenir sur
l'engouement qu'a pu susciter à travers la planète, la campagne
électorale puis l'élection de celui qui a bénéficié d'un soutien de la
part d'une majeure partie des opinions publiques de presque tous les
Etats du monde, à l'exception, peut-être, de celle de l'État d'Israël.
Nous n'évoquerons pas, non plus, très longuement la "racialisation"
des commentaires sur son élection, éclipsant (presque) tout jugement
réellement politique sur l'événement de la part de ces mêmes opinions
publiques. On a, effectivement, fêté l'événement comme "la victoire d'un
Noir à la Maison-Blanche". Signalons, aussi, que cette analyse, à
travers le prisme de l'appartenance ethnique portée sur la personne
d'Obama est autant le fait des racistes que des anti-racistes. Les
premiers ont été sidérés par l'accession d'un Afro-américain (un métis
en réalité) à la tête de l'Etat le plus puissant du monde, les seconds,
pourtant toujours prompts à faire fi de l'appartenance ethnique (simple
formule euphémisante du mot race) de l'individu, ont exulté à l'annonce
du résultat de l'élection : "Enfin, un Noir à la présidence des
Etats-Unis!". Enfin,ce qui est apparu stupéfiant, ce sont les propos
tenus par de jeunes Français d'origine africaine hurlant à tout rompre :
"Nous avons enfin notre président!"... (article Lemonnier)
Au-delà, des réactions hystériques des uns et des autres, il
apparaît pourtant qu'Obama a été le premier président démocrate, depuis
Johnson en 1964, a avoir été élu avec autant de "votes blancs" (vous
excuserez ce malicieux jeu de mots). D'ailleurs, n'a-t-il pas fait
campagne sur sa couleur de peau...
En réalité, "Obama représente l'archétype de l'idéologie mondiale
unique (IMU) : métis, mondialiste, social-démocrate, de gauche, «
antiraciste ». Il est l'élu de l'Amérique des minorités assistées et de
l'hyper-classe mondiale assujettissant les classes moyennes blanches." http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=10845"
Cette longue introduction (qui a plus valeur de prologue) nous a,
en tout cas, rappelé quelques éléments contextuels sur l'arrivée au
pouvoir du 44ème président des Etats-Unis ou au moins comment celle-ci a
pu être perçue.
Nous voulons donc aborder ici ce que pourrait-être le traitement de
ce que l'on désigne communément sous le nom de "question
(amér-)indienne" aux Etats-Unis (et a fortiori dans les
Amériques) après cette élection. Nous essayerons d'éviter de nous
attarder sur les origines ethniques d'Obama (origine kényane,
caucasienne, cheerokee). Ce serait, encore une fois, considérer les
potentialités de ce président à la lumière de critères raciaux.
Nous tenterons simplement d'apprécier comment ce président
"post-racial" comme il a pu se définir, gérera cette question, qui fait
figure de préoccupation marginale, pour nombre d'observateurs. Certains
objecteront,peut-être aussi, à la vue de ce qui est mentionnée plus
haut, que distinguer une cause amérindienne, c'est racialiser un propos
comme d'autres ont pu le faire lors des élections américaines...Nous
disons, simplement-et c'est sans doute un positionnement idéologique-
que la "question amérindienne" est justifiée (justifiable) car elle
recouvre un ensemble de revendications identitaires (nous ne sommes donc
pas, ici, dans une logique d'assignations identitaire) toujours
d'actualité. En outre, si le "monde amérindien" est polymorphe,
multiple, si des oppositions s'y affirment (choix entre assimilation à
la société dominante et entre-soi choisi, par exemple) il reste que
celui-ci est reconnu légalement puisque les différents gouvernements
américains ont, depuis deux siècles, réservé un "traitement" particulier
aux individus qui le composent : signatures de traités, "cession"
(plutôt rétrocession) de terres, expropriations, reconnaissance de
groupes d'individus identifiés, "critérisés", catégorisation
(reconnaissance statistique des Amérindiens), permettant l'octroi de
droits ou, a contrario, leurs limitations, etc.
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Trois arguments me paraissent parler en faveur de la particularité de cette "question indienne" :
-le statut de premiers habitants de ces "Indiens"-la faiblesse
numérique actuelle de ces nations vis à vis des autres "grandes
'minorités ethniques' " présentes sur le sol américain
-la
marginalisation actuelle, sans aucun doute, plus affirmée de ces
populations par rapport aux autres "minorités" (agrégation dans des
réserves pour certains groupes, configuration considérée par certains
comme un "privilège" pourtant)
.
Par ailleurs, existe-t-il une élite sociale et politique amérindienne
(en dehors des réserves et des conseils tribaux) comme il en existe une
chez les Noirs américains? A priori, non...
1) Ainsi donc, il n'est, sans doute, pas inutile de rappeler que les
peuples désignés sous le terme générique d'"Indiens" ou d'"Amérindiens"
sont les premiers habitants des Etats-Unis. D'autres termes, plus
appropriés peut-être, servent, d'ailleurs, à les désigner :"Peuples
natifs", "Peuples premiers", "premières Nations" "populations aborigènes
d'Amérique" etc. En outre, il est aussi bon de noter, que l'ensemble de
ces populations premières n'a jamais formé une seule entité. Il n'y a
jamais eu unité de langue, de culture entre ces peuples ou même d'
"empire", de "gouvernements" les fédérant, avant l'arrivée des premiers
européens, en tout cas.
Ceci étant dit, et c'est un avis personnel- cette "question
indienne" ne peut être mise sur le même plan que la situation des autres
minorités présentes postérieurement sur ce même territoire américain.
C'est l'argument le plus important permettant de dire- et sans rentrer
dans la polémique d'une concurrence victimaire- que les Nations
amérindiennes sont les plus marginalisées puisque dépossédées de leurs
territoires, à l'arrivée des Européens. Alliés occasionnels ou ennemis
des nouveaux arrivants du "vieux-continent", peu "utilisées" comme main
d'oeuvre par les colons,comme ce fut le cas en Amérique latine, la
vertigineuse chute démographique de ces Nations (ils ne sont plus que
250000 en 1896, les estimations hautes pour le peuplement au XVIème vont
jusqu'à 12 millions d'individus), due aux guerres et épidémies
incessantes, font que le génocide(euphémisé par les expressions "guerre
de colonisation", "pacification des territoires"), et l'ethnocide
amérindien qui s'en suit, ne supportent aucune comparaison possible dans
l'histoire de l'Humanité.
2) L'aspect quantitatif : ces "Indiens" ne représentent 2% de la population totale des Etats-Unis.En 2005, sur environ 300 millions d'habitants aux États-Unis, le gouvernement recensait :*42,7 millions d'hispaniques*39,7 millions de Noirs au total, i.e. les Afro-Américains, les d'Africains récemment arrivés et les Noirs d'origine antillaise.* 4,4 millions d'habitants d'origine asiatique *4,5 millions d'Amérindiens et d'indigènes de l'Alaska *
1 million d'indigènes d'Hawaï et des îles du Pacifique (que l'on ne
distinguera pas du cas Amérindien puisque relevant de la même logique,
i.e; appropriation de territoires etc.)
Il reste, par ailleurs, qu'il
est difficile de savoir qui est "Indien" aujourd'hui. Les critères
d'indianité étant très "laches" . L'indianité c'est avant tout une
revendication identitaire :" Je suis de sang indien". Juridiquement, il
existe le "certificat de proportion de sang indien", il faut justifier
d'1/4 de sang indien (critères variables visiblement) auprès du bureau
des affaires indiennes pour revendiquer son indianité. De plus, certains
"Indiens" ne font même pas la démarche pour l'obtention de ce
certificat...
3) La question des réserves indiennes (presque 300 au total) : idée
des colons du XVIIIème siècle, il s'agissait de mettre à l'écart
(ségrégation spatiale et ethnique) ces Native american. En 1825 : déportations vers l'ouest des Etats-Unis, création d'un "territoire indien", on parlera de "solution finale" a posteriori, puis c'est la guerre de sécession, de traités en invasions de toutes sortes, le "ghetto" éclate...
Aujourd'hui...on
ne s'étendra pas sur le statut juridique des Nations indiennes et de
leurs territoires. Disons simplement que les groupes indiens sont des
"communautés politiques distinctes et indépendantes conservant leurs
droits naturels originels" en matière d'administration locale. Les
groupes indiens demeurent "un peuple séparé conservant le pouvoir de
réglementer leurs rapports internes et les relations sociales" (1886), c'est la souveraineté tribale. Les groupes indiens sont considérés comme des nations internes aux Etats-Unis.
Certains arguent que les "Indiens" des Etats-Unis sont aujourd'hui
très riches grâce à une loi de 1988 autorisant, la construction de
casinos sur les réserves indiennes (interdiction des casinos aux
Etats-Unis, hormis Las Vegas ou Atlantic city). Les Amérindiens
seraient-ils "solubles dans le capitalisme"? cf.(1)(2)(3)
Il est essentiel de dire que toutes les réserves indiennes ne
bénéficient pas des revenus générés par les établissements de jeux.
L'Etat du Montana et celui du Dakota du sud, par exemple, avec leur
respectivement 7% et 10% d'Améridiens regroupent, sans doute, les
populations du pays les plus faibles économiquement. Pine Ridge, l'une
des 9 réserves indiennes du Dakota du sud, territoires de la grande
Nation Sioux, répartie sur deux comtés comptent 400000 âmes. Pine Ridge,
territoire des Sioux Lakota,est tout simplement l'endroit le plus
pauvre des Etats-Unis, avec ses 90% de chômeurs...
(1)(2)(3):
Veronica Tiller, « La souveraineté tribale des Indiens des
Etats-Unis et le système fédéral américain », Nuevo Mundo Mundos Nuevos,
Coloquios, 2008, [En línea], Puesto en línea el 15 décembre 2008. URL :
http://nuevomundo.revues.org/index46193.html.
"Très souvent, ces premiers Américains sont invisibles, figés à
jamais dans des images mythiques du passé. Ils sont présents sur les
photos de Curtis et dans les tableaux de Remington et nous entendons
parler d'eux à travers ce qu'en disent les milieux new age. Ils sont
cools, ces Indiens. Et puis, dès qu'un nouveau casino ouvre près de
l'autoroute, ou qu'une exposition de poteries fait parler d'elle, nous
nous rendons compte qu'ils sont toujours là, parmi nous. Avec
l'ascension d'Obama, les Indiens se sont autorisés à rêver – et même,
pour certains, à tomber amoureux. En mai dernier, il a été adopté par
une famille indienne du Montana, et a reçu de la nation crow le nom de
Barack Black Eagle [Barack Aigle Noir]."
Il existe, certes, un lien fort entre ces Amérindiens, spoliés de
leurs terres, humiliés, ostracisés, et les Noirs américains descendants
d'esclaves. Mais, Obama (qui n'appartient d'ailleurs pas à la dernière
catégorie citée) qui suscite tant d'espoir à travers le monde, fait, le
plus souvent, figure, auprès des groupes tribaux (malgré l'euphorie ici
et là de quelques individus emportés par leur naîveté (?)), d'un simple
signataire de traités, comme les autres présidents américains qui l'ont
précédé. Kennedy, en son temps, avait bien serré la main d'un chef
tribal, lors de sa campagne électorale...et ensuite? Obama a déclaré,
lui aussi durant sa campagne : "Je sais ce que c'est que de lutter
(…) combien de fois on vous a oubliés, tout comme les Noirs ou d'autres
groupes dans ce pays. Parce que j'ai vécu cela, je ne vous oublierai
pas", a promis le candidat." Cette phrase doit, peut-on le penser,
provoquer un vague malaise chez certains autochtones amérindiens qui se
remémore le "Je n'oublierai pas Leonard" de Bill Clinton pendant sa campagne électorale...A ce jour, Leonard Peltier, militant amérindien Anishinaabe/Lakota (American Indian Movement), est toujours "prisonnier politique"...
Pour autant, durant sa campagne pour les primaires présidentielles,
Barak Obama avait annoncé que les Nations amérindiennes seraient
représentées dans son administration. "La souveraineté pour les peuples autochtones tient la première place dans le cœur de Barak Obama"
a affirmé Keith Harper, un avocat de Washington, directeur du Conseil
Consultatif Sénatorial Démocrate de l'Illinois pour les Autochtones
Américains et d'ajouter : "la décision d'Obama se vérifiera par les actes, non par la parole".
Or donc, trois mesures en faveur des communautés amérindiennes ont été promises :
* nomination d'un amérindien comme conseiller politique et
réunion d'un groupe de conseillers personnels composé de "personnalités"
issues du "monde autochtone amérindien" (chefs tribaux, intellectuels),
pour faire entendre la voix des autochtones dans son administration.* création d'un Tribal G8 Summit, après chaque (?) réunion annuelle des dirigeants du traditionnel G8. Abolition de la jurisdiction gap,
qui met les tribus indiennes dans l'impossibilité de poursuivre les
membres non-tribaux, pourtant responsables de la majorité des crimes
fédéraux commis sur leurs territoires (réserves).
* signature de la Native hawaïan Government Reorganisation Act
dite "loi Alaska". Ce qui signifie à la fois, égalité de statut entre
Hawaïens, autochtones d'Alaska et Amérindiens mais aussi, droit de
former une entité gouvernementale, légalement apte à négocier avec
l'Etat et les gouvernements fédéraux le contrôle des terres, des
ressources naturelles et de leurs revenus. Source : Robert Pac, indian Contry Today, 08 et 28 février 2008 in http://www.okamag.fr/oka/77.htm
De nos jours, la situation socio-économique des Nations indiennes
est certes différente, selon que l'on soit Ojibwas dans le Wisconsin ou
Sioux Lakota dans le Dakota du sud. 60% des 339 tribus indiennes des
Etats-Unis possèdent des établissements de jeux d'argent.
Paradoxalement, l'essor économique sur les réserves possédant des
casinos a permis grâce aux ressources financières dégagées par ces
activités de permettre un nouvel élan pour les mouvements autochtones
traditionalistes : programmes culturels, environnementaux. Certains
Amérindiens sont aujourd'hui "riches", attisant la haine et l'envie,
tant d'autres communautés indiennes, que parmi la société dominante...en
outre, certains groupes amérindiens voient dans ce phénomène une
parfaite contradiction avec les valeurs morales de leurs
peuples...(article Lemonnier)
Il reste, qu'en moyenne, les Indiens des Etats-Unis meurent plus
précocement que les autres Américains, les taux d'alcoolisme et le
nombre de diabétiques dans certaines réserves n'ont leur équivalent
nulle autre part dans le pays, les jeunes "Indiens" ont honte de leur
héritage, et les métis d'Amérindiens et de Blancs, d'Amérindiens et de
Noirs n'ont guère plus de respect pour leurs origines (constatation
valable pour le métis Colombien ou Brésilien, par ailleurs)...
In fine, il me souvient à l'esprit cette phrase,
lue je ne sais plus où, d'un généticien, dont j'ai oublié le nom (mais
qu'importe, l'idée développée est très clair encore dans mon esprit),
qui disait peu ou prou "Les Indiens d'Amérique n'ont d'autres choix que
celui de l'assimilation ou celui de leur disparition définitive."
Cynisme ou réalisme?Obama, "l'Espoir des damnés de la terre" a-t-il, finalement, d'autres
alternatives à proposer aux Nations indiennes que celles-ci?
(à suivre...)
Copyright © J-M Lemonnier 2009