Messianisme
et eschatologie chez les protestants, évangéliques et sionistes
On ne
comprend que très mal le comportement d'un terroriste d'Al-Qaida, de l'Etat
islamique ou d'un G. W. Bush, si l'on ne tient pas compte de la dimension
religieuse qui sous-tend la décision de ceux-ci de partir en guerre contre un
ennemi réel ou fantasmé (bien que le distinguo entre réalité et construction
mentale soit pour certains impossible à faire). Il faut insister sur
l'incurable dimension religieuse de l'homme (Mircea Eliade). Seulement,
le messianisme qu'il soit d'essence chrétienne ou musulmane est solidaire de la
patience et de l'espérance. Cette attente est une ouverture sur la
transcendance et l'éternité. Quand il cesse de l'être, il devient souffrance et
pousse à l'action. C'est cette mutation que l'on peut constater chez les
néo-conservateurs évangéliques-sionistes, les sionistes israéliens et les (petits)
Djihadistes.
"Le vrai choix" publié en 2004 en
pleine guerre d'Irak et écrit par l'inévitable Brzezinski présente une vision
du monde étasuno-centrée à peine différente de celle détaillée dans "Le
grand échiquier". Les quelques concessions qui sont faites à la
multipolarité, dictées sans aucun doute par le constat de l'échec de la
politique de G. W Bush au Moyen-Orient et en Asie centrale, cachent mal la défense du suprémacisme étasunien. En effet, si l'arrivée de Barack
Obama au pouvoir a, en partie, marqué une rupture avec la doctrine Bush et
réalisé les grandes orientations redéfinies et préconisées par Brzezinski en
matière de politique étrangère étasunienne (multilatéralisme mais certes de
façade), rien ne doit, pourtant, arrêter le nouvel ordre étasunien du monde :
"c’est en fonction de son utilité
ponctuelle que telle ou telle doctrine est mise en œuvre de façon sélective
(...) Pour le monde extérieur, le message
est clair : lorsqu’un accord international contredit l’hégémonie
américaine et pourrait brider sa souveraineté, l’engagement des Etats-Unis en
faveur de la mondialisation et du multilatéralisme atteint ses limites"
(Brzezinski, 2004 : p. 202-203). Dans cet ouvrage, il est donc toujours
question de la "destinée manifeste" des Etats-Unis et la dimension
messianique de la politique étrangère est toujours aussi présente : "Du fait de son rôle contradictoire dans le
monde, l'Amérique est condamnée à servir de catalyseur, ou bien d'une
communauté mondiale ou bien du chaos mondial. Face à cette alternative, les
Américains portent une responsabilité historique unique. Notre choix ?
Dominer le monde ou le conduire" (Brzezinski, 2004 : p. 12).
Par suite,
malgré la réorientation - sur la forme - de sa politique étrangère, c'est bien
Washington qui dicte sa loi au monde. La pensée de Brzezinski ayant largement
orienté la politique étrangère étasunienne depuis la fin des années 1970, est
imprégnée d'une dimension eschatologico-messianique de type
sioniste-évangélique, comme on peut le constater dans "Le vrai
choix". Ainsi à la page 27, on peut lire : "L'épisode décrit dans le dernier livre du Nouveau Testament, Révélation
16, fournit la description fidèle (sic)
d'un suicide nucléaire et bactériologique planétaire". Ce passage de
l'Apocalypse de Jean auquel fait référence l'ancien conseiller de Jimmy Carter
est le suivant : "Le septième (ange)
enfin répandit sa coupe dans les airs ; il sortit du temple une voix forte
émanée du trône : C'en est fait' disait-elle. Aussitôt ce furent des éclairs,
voix et coups de tonnerre accompagnés d'une secousse telle que jamais, depuis
l'apparition de l'homme, il n'en advint d'aussi violente ; la grande ville se
brisa en trois, les villes païennes croulèrent, et ainsi Babylone la grande fut
rappelée au souvenir de Dieu pour qu'il lui administrât le calice du vin de son
ardente colère. Toutes les îles s'enfuirent et l'on ne trouva plus de
montagnes. Des grêlons énormes, pouvant peser un talent, se mirent, du haut
du ciel, à bombarder les hommes ; ceux-ci maudirent Dieu à cause du fléau
de la grêle, car il est formidable".
On se souvient qu'en 2003, G. W. Bush n'avait pas hésité, non plus, à s'appuyer
sur l'Ancien et le Nouveau Testament pour justifier sa croisade en Irak après
les attentats du 11 septembre 2001. Le président étasunien en fonction depuis
janvier 2001 - étrangement élu face à Al Gore - est un "born again"
évangélique. Sa rhétorique sur l'axe du mal et les Etats voyous (Syrie, Iran,
Corée du Nord) est farcie des idéaux
messianiques de "destinée manifeste" et la dimension eschatologique
de ses discours concernant sa politique étrangère est évidente : hâter la
bataille de Megiddo (un site biblique situé en Galilée, dans le Nord d'Israël)
ou d'Armageddon (Har-Megiddo) qui doit opposer le peuple élu par Dieu, composé
de juifs et de certains chrétiens, aux forces du Mal incarnées par l'islam.
Mais, la vision délirante du monde de l'administration Bush a toujours été
celle de l'Etat profond étasunien...Pour les protestants étasuniens, le
monde musulman (indépendamment des clivages qui conduisent régulièrement à des
guerres fratricides en son sein) est autant vu comme une menace de type
apocalyptique que la Russie. Celle-ci a toujours été perçue comme un Etat
menaçant, véritable incarnation du Mal. Pour les fondamentalistes, le livre
d'Ezéchiel décrit clairement la Russie. Elle est identifiée au fameux Magog qui
selon certaines interprétations est une régions peuplée de Païens, située au
Nord du monde et qui doit aux côtés de l'Empire perse - soit l'Iran aujourd'hui
- attaquer Israël auquel ces protestants sont "éternellement
attachés". La guerre du Levant et l'existence d'un axe
Moscou-Téhéran-Hezbollah semble donc venir confirmer les visions d'Apocalypse
(rappelons que le mot ne prend le sens de catastrophe définitive qu'au XIXe s.)
de ces protestants-évangéliques et sionistes...
Le fantasme de la
réalisation du Grand Israël (référence à la Terre promise dans la Torah) est
bien sûr central dans cette géopolitique de type eschatologique. Oled Yinon
dans un article publié en 1982 dans une revue intitulée Kivunim décrit, à l'appui des textes religieux, ce projet de
création d'une entité israëlienne qui renvoie au projet de Grand ou Nouveau
Moyen-Orient déjà évoqué : "Lebanon's total dissolution into
five provinces serves as a precendent for the entire Arab world including
Egypt, Syria, Iraq and the Arabian peninsula and is already following that
track. The dissolution of Syria and Iraq later on into ethnically or
religiously unqiue areas such as in Lebanon, is Israel's primary target on the
Eastern front in the long run, while the dissolution of the military power of those states serves as the primary short
term target. Syria will fall apart, in accordance with its ethnic and religious
structure, into several states such as in present day Lebanon, so that there
will be a Shi'ite Alawi state along its coast, a Sunni state in the Aleppo
area, another Sunni state in Damascus hostile to its northern neighbor, and the
Druzes who will set up a state, maybe even in our Golan, and certainly in the
Hauran and in northern Jordan. This state of affairs will be the guarantee for
peace and security in the area in the long run, and that aim is already within
our reach today"[1].
Des extraits de l'article, définissant ce qui est
appelé "le plan Yinon", sont souvent repris dans les milieux
politiques anti-sionistes. La part de l'influence de ces écrits dans la
politique israélienne fait cependant toujours débat...
EXTRAIT d'un livre non publié (JM Lemonnier, 2016)
[1]"A Strategy for Israel in the Nineteen Eighties",
http://www.informationclearinghouse.info/pdf/The%20Zionist%20Plan%20for%20the%20Middle%20East.pdf,
consulté le 16/03/2016, initialement publié en hébreu dans la Revue Kivunim, A
Journal for Judaism and Zionism. Issue No, 14--Winter, 5742, February 1982,
Jérusalem : Editeur : Yoram Beck /The World Zionist Organization