La principauté de Moldavie créée au XIVe siècle passe
sous domination ottomane au XVIe siècle.
Annexée par la Russie en 1812 après le Traité de Bucarest, le territoire
qui passe sous domination russe est rebaptisé Bessarabie. En 1918, la "Grande
Union" permet la création de la Grande Roumanie ou Roumanie intègre, acmé
d'un processus qui débute en 1859 avec le Traité de Paris et permettant
l'émancipation et l'unification des populations roumanophones empêchées pendant
des siècles par différents empires (ottoman, austro-hongrois, russe). La
Bessarabie est alors rattachée à la Roumanie. Durant 22 ans, de 1918 à 1940, la
Roumanie connaît sa plus grande expansion territoriale. En 1940, grâce au pacte
germano-soviétique, l'URSS - alors que le royaume de Roumanie est encore dans
la camp Allié - annexe la Bessarabie, la Bucovine du Nord ainsi que l'arrondissement
de Herța (dans actuel oblast ukrainien de Tchernivtsi).
Au même moment, la Hongrie s'empare de la
Transylvanie et la Bulgarie de la Dobroudja du Sud. Le pacte germano-russe
rompu, le maréchal Ion Antonescu arrivé au pouvoir en 1940, compte sur une alliance
- purement pragmatique - avec l'Allemagne
pour récupérer les territoires roumains. Rapidement avec l'aide de la
Wehrmacht, l'armée roumaine, qui participe à l'opération Barbarossa,
reconquiert la Bessarabie en 1941 qui est rattachée à la Roumanie jusqu'en
1944. Durant cette période (1940-1944), les violences perpétrées dans les
territoires sus-cités, aussi bien par un camp que par l'autre, sont inouïes.
L'Armée rouge soviétique massacre les Roumains de Bucovine, certains d'entre
eux sont déportés en Sibérie, puis c'est au tour de la Roumanie sous la
direction du Maréchal Antonescu (dont la responsabilité dans l'holocauste des
juifs de Roumanie est toujours discutée en Roumanie !) de détruire la
communauté juive de Bucovine et d'organiser des déportations massives de juifs,
mais aussi de Rroms et d'opposants au régime vers une Transnistrie récemment
conquise qui sera le tombeau de ces "indésirables". A l'issue de la
dernière guerre mondiale, la Roumanie perd la Bessarabie (Moldavie indépendante
et Boudjak qui revient à l'Ukraine, oblast d'Odessa) ainsi que d'autres
territoires (une partie de la Bucovine, de la Dobroudja) soit 58000 km2. Malgré
son passage dans le camp des Alliés en 1944, elle est envahie par l'Union
soviétique. C'est le début de l'ère communiste. Un communisme importé auquel
les Roumains de souche n'avaient jamais adhéré. En effet, le Parti Communiste
Roumain (PCR) jusqu'à l'immédiate après-guerre est le parti des minorités ukrainiennes,
russes, hongroises et juifs. Il ne doit sa transformation en parti de masse
qu'à la présence des armées russes sur le territoire roumain. De 1944 à 1991,
la Bessarabie devient une république socialiste soviétique. Mais elle subit des
modifications territoriales. Une partie du territoire, au nord et au sud est
transférée à la république socialiste d'Ukraine et la Bessarabie reçoit le
territoire oriental de Pridniestrovie (appellation russe) ou Transnitrie
(dénomination roumaine). La Moldavie redevient indépendante en 1991 après la
disparition de l'URSS. Durant
la même période, s'opère un retour à l'alphabet latin dans la nouvelle
république indépendante. Le
territoire moldave correspond aux deux tiers du territoire de l'ancienne Bessarabie.
Mais la partie orientale de l'ancienne Bessarabie, la République moldave du
Dniestr, la Pridniestrovie ou Transnitrie prenant pour capitale Tiraspol, fait
sécession avec Chișinău et reste sous domination russe. Il
est bon de rappeler que les russophones représentent de nos jours un tiers de
la population de Transnitrie, soit autant que les roumanophones et que les
ukrainophones.
Un conflit de nature à la fois politique, symbolique
et identitaire, armé mais de faible intensité éclate entre Moldaves
roumanophones et les Russes de Transnistrie, après l'indépendance ; les
nationalistes pro-Roumains soutenus par le BAO promettant, par ailleurs, de
chasser les "Russes" de Moldavie. Une union de la Moldavie
(territoire au-delà du Dniestr inclus) à la Roumanie aurait noyé les Slaves
russophones dans un océan de latinité, mais surtout aurait mis fin à
l'influence russe sur le territoire moldave. Le cessez-le-feu de 1992 puis le
référendum de 1994 remporté par les partisans d'une Moldavie indépendante éclipsent
durant des années le conflit entre nationalistes réclamant l'union de la
Moldavie à la Roumanie et les pro-Russes. En 2007, le président roumain Traian
Basescu permet, cependant, aux Moldaves qui le souhaitent d'acquérir la
nationalité roumaine. Le conflit entre Moldaves pro-Roumains et Moldaves
pro-Russes est latent...
Il convient de dire, que la Moldavie est
d'une grande importance stratégique. Sa situation géographique, entre les
Balkans à l'ouest et la Mer Noire, proche des Carpates et du Danube en fait une
position avancée pour le contrôle du Danube et des détroits depuis le XIXe
siècle et jusqu'à aujourd'hui. La rivalité entre la Roumanie et la Russie pour
la maîtrise de cet espace n'a jamais cessé, a fortiori depuis l'intégration de
la Roumanie à l'Europe communautaire et à l'OTAN. Les Etats-Unis et la Russie ont des
visées sur la Moldavie. Washington est toujours dans sa stratégie de conquête
de l'Europe de l'est et d'encerclement de la Russie et Moscou ne voit guère
d'un bon œil le passage de la Moldavie, pas plus que celui de la Pologne ou des
Pays Baltes, par ailleurs, dans l'aire d'influence du BAO. Ce rapprochement
progressif de la Moldavie avec l'Europe euro-atlantique, officialisé par la
signature d'un accord d'association avec l'Union européenne en 2014 est
évidemment condamné par Moscou. Sur le
plan de l'identité, diverses tendances traversent la société moldave. Une
frange de la population est partisane d'une réunification du pays avec la
Roumanie, une autre s'accroche à son particularisme et sans être hostile à son
voisin préfère la formule "deux peuples, deux Etats" à celles
"un peuple, deux Etats" ou "un peuple, un Etat". Sur le pan
économique, la Moldavie ne s'est jamais remise de la dislocation de l'URSS et
son indépendance lui a fait perdre de nombreux débouchés commerciaux.
L'industrie lourde et productive se trouve dans cette Transnistrie
sécessionniste. Malgré quelques investissements étrangers et une industrie
légère axée sur l'agro-industrie, la situation économique est peu reluisante.
Cette dernière provoquant un exil massif de Moldaves vers les pays du monde
euro-américain...En outre, la Moldavie est largement dépendante de la Russie,
en particulier en ce qui concerne l'énergie. Le gaz et le pétrole russe sont
indispensables à la république et Bucarest n'a pas grand chose à proposer
contre cette domination russe ni contre le chantage concernant la Moldavie.
Depuis la création de la république de Moldavie de
nombreuses crises politiques ont jalonné sa jeune histoire. La plus récente et
peut-être la plus aiguë est celle qui se déroule actuellement au regard de la
situation géopolitique dans cette Europe centre-orientale, et précisément à
cause de la guerre en cours en Ukraine, pays voisin de la Roumanie et de la
Moldavie. Cette
crise politique remonte au mois d'avril 2015 après la découverte d'une fraude
financière évaluée de plus de 900 millions d'euros. Cette somme disparue de
trois banques moldaves correspond à 15% du Produit Intérieur Brut de la
Moldavie. Suite a cet énorme scandale, des manifestations populaires ont
conduit à la démission du premier ministre Vlad Filat accusé d'avoir détourné
230 millions d'euros. Le 21
janvier 2016, plusieurs dizaines de millions de personnes expriment leur colère
à Chisinau, la capitale moldave, après la nomination de Pavel Filip un
européiste (pro-UE) et de son gouvernement approuvée par le parlement moldave.
La Moldavie pays de 3,5 millions d'habitants, est ethniquement roumain à 78%,
et russe à 12%. La société moldave souvent perçue, exagérément en Europe
occidentale, par le biais déformant du journalisme de masse, comme clivée en
deux avec d'un côté ses roumanophones, favorables à une entrée de leur pays
dans l'Union européenne et/ou d'un rattachement avec la Roumanie, de l'autre
des russophones hostiles à l'Europe communautaire et marqués par un tropisme
pro-russe. Pourtant, récemment pro-russes et partisans de l'intégration de
l'intégration de la Moldavie à l'Union européenne, forces politiques de droite
comme de gauche, dans une sorte d'union sacrée, ont défilé côte à côté pour
dénoncer la corruption du pouvoir. L'oligarque Vlad Plahotniuc, accusé d'avoir une
influence profonde sur le pouvoir central fait partie des cibles de ce
mécontentement populaire. En moins d'un an, trois gouvernements
ont été nommés. La situation
en Moldavie en janvier 2016 est pré-insurrectionnelle. Le mécontentement
populaire à l'égard d'un régime corrompu glisse lentement vers un point de
non-retour. Tour à tour et selon les sources, on accuse la Russie ou les
puissances du BAO de préparer un coup d'Etat en Moldavie. L'Ukraine orientale
est déjà à feu et à sang, la Moldavie suivra-t-elle ce funeste chemin ? Comment
réagirait la Roumanie membre de l'OTAN face à un guerre civile en Moldavie qui
ne tarderait pas à contaminer la République moldave du Dniestr ? Il est
impossible que la Russie laisse s'écarter celle-ci de son aire d'influence. A
l'évidence, toute déstabilisation
politique et action militaire menée par les forces armées de la République de
Moldavie, vraisemblablement soutenues par le BAO et la Roumanie entraineraient
une réaction virulente de la Russie. Celle-ci soutiendrait les Russes de
Pridniestrovie réclamant un rattachement du territoire de la rive gauche du
Dniestr à la Russie. Seulement, un conflit en Moldavie et en Transnistrie présenterait peu de similitudes avec le
conflit russo-géorgien de 2008 ou russo-ukrainien depuis 2014. L'espace
roumano-moldave a une histoire bien différente de celle de l'Ukraine par
exemple. Nous sommes ici dans une aire culturelle, linguistique et ethnique très
homogène occupée par des Roumains. Les russophones y sont le plus souvent
perçus, à juste titre au regard de l'histoire, comme des envahisseurs.
Si le projet eurasiste ou eurasiatique d'un Poutine ou
plus encore d'un Douguine (finalement mis à distance de l'université de Moscou
à l'été 2014), proche par ailleurs de Sergueï Narychkine président de la
Douma, est de
fonder un espace continental puissant libéré de la domination thalassocratique
euro-atlantique, une entrée en guerre directe ou indirecte contre le BAO en
Moldavie ne va pas dans le sens de l'intérêt de ce projet. Le problème est de
savoir quels sont les plans du BAO pour la Moldavie. Le site internet de l'OTAN indique qu'"Au sommet de
l'OTAN qui s'est tenu au pays de Galles en septembre 2014, les dirigeants des
pays de l’Alliance ont proposé de consolider la fourniture de soutien, de
conseils et d'assistance à la République de Moldova dans le cadre de la
nouvelle initiative de renforcement des capacités de défense et des capacités
de sécurité s'y rapportant (DCB)". Il
est également intéressant de lire sur ce même site que "la signature des accords d'association de
l'UE avec la Géorgie, la République de Moldova et l'Ukraine (...) permettront de travailler en étroite collaboration
pour consolider l'état de droit, faire progresser les réformes de l'appareil
judiciaire, lutter contre la corruption, veiller au respect des libertés et des
droits fondamentaux de même que pour renforcer les institutions démocratiques.
Ce sont là des buts que l'OTAN partage et soutient au travers de ses propres
partenariats avec ces pays et d'autres partenaires". Où
l'on a la confirmation que le projet européen de Bruxelles rejoint celui de
l'OTAN et que la question du sort de trois Etats (Géorgie, Moldavie, Ukraine)
sur laquelle le BAO et la Russie s'affrontent indirectement depuis des années est
loin d'être réglée.
(Extrait d'un livre non publié de Jean-Michel Lemonnier)