: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes: Dacie
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dimanche 30 novembre 2014

Saint-André, 30 novembre - La saison des strigoi...

André, saint fondateur de l'Eglise byzantine et saint patron de la Roumanie est fêté le 30 novembre. Saint André est appelé le "plus grand des loups" par les Roumains, une manière d'autochtoniser ce personnage central du christianisme venu évangéliiser la région, accompagné d'un loup blanc ? Les Roumains ne sont-ils pas descendants des Daces, c'est-à-dire de ceux qui sont "semblables aux loups", selon la tradition mythistorique ? Il aurait, par ailleurs, existé une divinité dace nommée sântandrei, personnification du loup. Mais les preuves à ce sujet ne sont guère plus consistantes, que celle permettant d'affrimer la réalité du long périple d'André de Terre sainte jusqu'en Europe orientale. 
Or donc, d'après la croyance populaire pagano-chrétienne qui survit encore de nos jours sur l'espace capartho-danubien, la Saint-André est aussi le jour (disons la nuit du 29 au 30) où les strigoii (1) cherchent à se faire pardonner auprès de Dieu. Mais Satan qui se prétend le maître de ces créatures tourmentées qui n'ont pas encore trouvé le repos éternel, veille et refuse que ces dernières se tournent vers le Tout-Puissant pour qu'il les libére de leur condition d'êtres ni morts, ni vivants, mi-morts, mi-vivants...La nuit du 29 au 30 est la nuit où l'activité des strigoi, tout comme celle des loups, est à son paroxysme. Elle est donc particulièrement agitée et le peuple doit se protéger par différents moyens : gestes sacrés donc seuls véritables, rituels ancestraux transmis à travers les époques par les ancêtres ou un ancêtre mythique qui a effectué ces gestes ab origine. Il s'agit dans tous les cas d'un de ces moments de l'année durant lequel le monde suprahumain se manifeste et qui est propice aux pratiques divinatoires.
En outre, en dehors des explications matérialistes, à vrai dire peu intéressantes (et très peu convaincantes d'ailleurs) à propos de ce peuple des ténèbres et des croyances dans le vampirisme, grâce au folklore roumain (folklore au sens de tradition du peuple), on sait que la mort noire, la mauvaise mort, résultat de la subversion d'un ordre naturel, culturel et cosmique fournit ses légions de "mal-morts". Décrire la complexité des rites et rituels mortuaires nécessaires au maintien de cet ordre, permetttant d'éviter un retour du mort après son décès prendrait des pages. J'en parle ici assez longuement : La Roumanie : mythes et identitésUn autre ouvrage de référence sur la Roumanie et consacré exclusivement au thème de la Mort  chez les Roumains (et qui montre, par ailleurs, l'évolution sinon la dégradation des mythes et croyances religieuses à notre époque en Roumanie - le livre est publié en 1986) est celui d'Andreesco et Bacou : Mourir à l'ombre des Carpathes.

(1) il en existe plusieurs types...(des strigoi=non articulé, les strigoii=articulé)


Crédit photo. : http://www.apologeticum.ro/


Mihai Eminescu - Strigoii



lundi 3 novembre 2014

Tinereţe fără bătrâneţe (1969) - La clé d'or - Inspiré du CONTE ROUMAIN de Petre Ispirescu - Tinerețe fără de bătrânețe și viață fără de moarte

Version française -le titre est non-traduit : La clé d'or. Ici la première partie étrangement amputée de quelques séquences :  http://www.youtube.com/watch?v=mR_AIDdqZMo

L'histoire du film s'inspire du conte du folkloriste-philosophe Petre Ispirescu, "Tinerețe fără de bătrânețe și viață fără de moarte", que l'on peut traduire par "Jeunesse sans vieillesse et vie sans mort", tiré du recueil "Legende sau basmele românilor" de 1872 (Légendes ou contes roumains).
Il est inutile de revenir sur les différences déjà évoquées ici entre conte, légende et mythe...On n'évoquera pas non plus les fonctions bien connues de chacun de ces récits (notamment l'utilité du conte pour l'enfant, quête initiatique, etc.), ainsi que les schémas narratifs. Voir notamment l'appendice 1 dans "Aspects du mythe" (1963) de Mircea Eliade pour une discussion sur les mythes et les contes de fées, reprise d'un propos de l'historien des religions dans La Nouvelle Revue Française (1956).
 On dira, par contre, qu'en cette époque de déconstructions-démolitions des soi-disant stéréotypes, ce genre de contes tradtionnels (loin de constituer un simple divertissement, un moyen d'évasion par ailleurs) de facture "ultra-classique" ne pourra que susciter l'effroi chez tous les ayatollahs  des "cultural studies", harpies féministes et autres subjectivistes radicaux...



Or donc. La scène introductive du film, nous plonge directement dans ce monde roumain, rural et traditionnel. Les références à la culture daco-romaine(-roumaine), balkanique et à  celle de la protohistoire-néolithique sont évidentes. Mircea Eliade nous dit que certains rites et rituels, intégrés avec bonheur à d'autres croyances païennes plus récentes mais aussi et forcément chrétiennes orthodoxes, qui persistent à notre époque en Roumanie sont en effet antérieurs à ceux pratiqués dans le monde grec ancien par exemple.
On reconnaît dans ce conte un certain nombre des êtres mythologiques de la culture populaire roumaine. On pourra en faire la liste plus tard...Avec ce film, nous sommes donc conviés à entrer dans cet univers historico-magico-religieux, typique de cette région d'Europe. On intègre un "temps fabuleux", fort différent du temps ordinaire, quotidien, banal...
Le film a été réalisé en pleine période communiste, à une époque où le régime Ceausescu se fait "nationaliste" et n'hésite plus à invoquer (certes pour se légitimer), autant les grandes figures de l'histoire roumaine (voïvodes, écrivains nationalistes, etc.) que les origines daces du peuple roumain et les récits mythistoriques forcément liés à un monde des origines, à la fois païen et chrétien, forestier et rural (agro-pastoral) et peuplé d'êtres appartenant à un monde suprahumain. Pourtant, si le film date de l'époque du conducator communiste Ceausescu, ce dernier est bien celui qui tentera d'éradiquer ce monde rural de la Tradition  et en bon marxiste de tenter de mettre un terme à la division ville-campagne (c'est aussi le programme libéral, ne l'oublions pas). Un projet catastrophique, totalement délirant et parfaitement inefficace (en termes de gains de productivité agricole et qui plus est, ne triomphera pas de cette "Roumanie éternelle") ayant partiellement abouti dans certains régions de la Roumanie et qui s'est traduit par  la "systématisation des communes rurales", la destruction de l'habitat rural traditionnel, la construction d'agrovilles, par une reconfiguration socio-spatiale artificielle d'une partie du territoire roumain, en somme. Ceausescu, le petit homme modeste devenu mégalomane, a fait preuve d'un très grand mépris -à la manière de Karl Marx ou d'un Lénine- à l'égard de ces populations rurales  qui ne pouvaient être composées qu d'êtres bornés, passéistes, réactionnaires freinant la "nécessaire" modernisation du pays.