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mercredi 11 avril 2018
Guerres et menaces de guerres en Eurasie (avril 2016) - carte inédite
samedi 31 décembre 2016
Guerre de et pour l'Eurasie : la Macédoine, un des "fronts de demain" (III)
La
Macédoine
La Macédoine est un État indépendant depuis 1991.
Elle connait dès les premiers temps de son existence un conflit symbolique
l'opposant à la Grèce à propos de son nom. Les Grecs n'acceptent pas que les
Macédoniens slaves utilisent le toponyme Macédoine qui renvoie à leur propre
histoire (Royaume de Macédoine), à l'hellénisme, à la langue grecque, d'autant
plus que la jeune république ne se prive pas d'utiliser des symboles
identitaires forts dont la Grèce se dit la seule dépositaire : Alexandre le
Grand, le soleil de Vergina ornant le tombeau de Philippe II de Macédoine. On
retrouve ici les préoccupations des nationalistes protochronistes des anciens
Etats communistes, qui dans leur quête d'identité, revendiquent une filiation
directe et la plupart du temps unique entre les peuples des Etats modernes et ceux
de l'Antiquité. De fait l' appellation FYROM (Former Yugoslav Republic Of
Macedonia) - soit ARYM (Ancienne République Yougoslave de Macédoine) en
français - est celle qui est reconnue et utilisée à l'international. Mais
cette querelle identitaire ne semble pas devoir dégénérer en conflit armé et
reste, pour le moment, cantonnée au domaine du débat intellectuel dans lesquels
interviennent politiciens, historiens protochronistes ou non. Mais sait-on
jamais...
La situation pouvant rapidement se traduire en conflit
armé est plutôt à chercher dans les tensions entre Macédoniens "de
souche" et Albanais. La Macédoine présente une grosse minorité d'Albanais
représentant environ un quart de la population totale du pays, soit environ
500000 personnes pour un territoire comptant un peu plus de 2 millions
d'habitants. A ce constat général, il faut évoquer une situation particulière.
A l'ouest du pays, les Albanais sont soit majoritaires, soit représentent une
grosse minorité par rapport à la population totale de la région. Plus on se
rapproche de la frontière avec le Kosovo ou l'Albanie, plus ils sont nombreux. Ils
sont majoritaires dans certaines villes et forment une minorité très importante
dans d'autres villes ou villages. Cette population est très vindicative et
obtient depuis les années 90 tout ce qu'elle demande au pouvoir central. Des
revendications concernant le bilinguisme ou un désir pour les Albanais d'être
mieux représentés au sein de la société macédonienne, on passe très vite à des
revendications d'indépendance de la partie du territoire majoritairement
albanais ou le rattachement de celle-ci à l'Albanie-Kosovo. En 2001, des
anciens combattants de la guerre du Kosovo de l'UÇK-M ont réalisé plusieurs
opérations visant à rattacher la zone albanaise de la Macédoine au Kosovo, sous
couverts de revendications d'ordre culturel et linguistique. Un conflit oppose
alors pendant six mois les Albano-kosovars au pouvoir central. Les accords
d'Ohrid du 8 août 2001 donnent gain de cause aux Albanais. Par ces accords,
l'albanais devient langue officielle au même titre que le macédonien dans
toutes les municipalités peuplées d'au moins (ou seulement ! c'est au
choix) 20% d'Albanais, l'usage de la
langue albanaise est autorisé au parlement, etc. Ces mesures sont évidemment
une avancée considérable pour la domination albanaise de la Macédoine. La toile
de fond idéologique de ces conflits culturel et armé étant toujours la
réalisation de la Grande Albanie. Plus récemment, en 2014, lors d'une
manifestation organisée pour défendre des Albanais accusés d’avoir tué cinq Macédoniens,
on pouvait entendre des slogans comme "Skopje, cœur de l’Albanie" qui fait écho à un autre
slogan shqiptar (albanais) "Kosovo,
cœur de l’Albanie". En mai 2015, ont lieu simultanément des manifestations
à Skopje et un coup de force armé à Koumanovo dans le nord-est du pays à
proximité de la frontière avec la Serbie, associant des Albanais de Macédoine et
du Kosovo. Le parti au pouvoir, l'Organisation
révolutionnaire macédonienne intérieure - Parti démocratique pour l'Unité
nationale macédonienne (VMRO-DPMNE), originellement d'orientation nationaliste
devenu parti de centre-droit, accusé par l'opposition de favoriser les
chrétiens appartenant à l’Église orthodoxe macédonienne au détriment des
Albanais musulmans, organise alors promptement et avec succès une
contre-manifestation dans la capitale tout en réagissant fermement à l'attaque
terroriste. Il est intéressant de signaler que ces événements se sont produits
le 9 mai, date hautement symbolique car jour de célébration de la victoire
russe sur le nazisme. Ici à Skopje, comme ailleurs dans les Balkans
yougoslaves, les "émissaires" du BAO (ambassadeurs) encouragent
largement la contestation contre le pouvoir central actuellement aux mains du
VMRO-DPMNE dont les bonnes relations qu'il entretient avec la Russie sont
gênantes. Le 4 mars 2016, à Butel, ville majoritairement orthodoxe (65% de la
population) localisée dans le nord de la Macédoine, des Albanais détruisent et brûlent
une croix orthodoxe. A cette crise interne, il faut ajouter la question de la
gestion des migrants que la Macédoine, située sur la très fréquentée
"route des Balkans" voit déferler sur son petit territoire. A la date
du 5 mars 2016, 13000 migrants-réfugiés auxquels les Albanais apportent leur
soutien se pressent à la frontière entre la Grèce et la Macédoine, alors que la
Grèce doit s'organiser pour relever le défi de la présence imposée de 30000 personnes venant de Syrie, d'Irak ou
d'Afghanistan, sur son territoire. Un peu plus d'un mois plus tard, la
situation devient presque incontrôlable.
Le parti
au pouvoir en Macédoine, au début de l'année 2016, est favorable à une
coopération avec la Russie dans le domaine énergétique. Un projet de gazoduc
doit remplacer le programme south stream que les euro-atlantistes de
Bruxelles-Washington ont fait avorter. Pour faire échouer les projets de
coopération économique russo-macédoniens, le BAO s'appuie donc sur les groupes
radicaux albanais nationalistes irrédentistes et djihadistes et est donc
favorable à une partition éventuelle de la Macédoine en deux zones. L'une
reviendrait à l'Albanie, l'autre à la Bulgarie. Pour ce faire, le BAO
flatte-t-il les séparatistes de Tirana, Pristina et de Koumanovo et leur rêve
de Grande Albanie. La Serbie entretient des relations plutôt cordiales avec la
Macédoine qu'elle voit, avec raison, comme un Etat neutre et garant d'une
certaine stabilité dans cette région sud-balkanique (Grèce incluse). Début
avril 2016, des manifestations se déroulent à Skopje, la capitale macédonienne.
Des Macédoniens descendent dans la rue pour contester un projet de loi d'amnistie et demander la
démission du président Gjorge Ivanov, proche de Poutine. Très rapidement, le 13
avril, nous assistons aux premières scènes d'émeutes. Le scénario est devenu
très commun. Ivanov est accusé de corruption, la sémantique journalistique du
BAO évolue, de "gouvernement de Macédoine", on passe à "régime
de Skopje" comme on parle de "régime de Damas" pour bien marquer
la supposée illégitimité du pouvoir en place. Les manifestations sont sous le
contrôle d'une poignée de chefs appartenant à des ONG, l'opposition au pouvoir
en place soutenue par les gouvernements des pays du BAO et l'Europe
communautaire et les Etats-Unis mettent en garde Skopje et menacent de
sanctions[1]. Une
situation qui ressemble sensiblement à celle ayant précédé les "Révolutions
de couleur". Ce que l'on peut dire avec quasi-certitude , c'est qu'une
déstabilisation de la Macédoine ne manquerait d'avoir de graves conséquences dans tous les Balkans
et peut-être au-delà...
[1] "Macédoine : L'UE et les Etats-Unis mettent en garde Skopje après une amnistie", http://www.rtl.be/info/monde/europe/macedoine-l-ue-et-les-etats-unis-mettent-en-garde-skopje-apres-une-amnistie-810015.aspx", en ligne le 13/04/2016, consulté le 19/04/2016
(Avril 2016, Jean-Michel Lemonnier, ouvrage non publié)
VOIR AUSSI :
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/09/la-nature-eschatologique-de-la-guerre.html
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/11/la-nature-eschatologique-de-la-guerre.html
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/11/guerre-de-et-pour-leurasie-la.html
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/09/la-nature-eschatologique-de-la-guerre.html
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/11/la-nature-eschatologique-de-la-guerre.html
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/11/guerre-de-et-pour-leurasie-la.html
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samedi 5 novembre 2016
Guerre de et pour l'Eurasie : La République serbe de Bosnie (Republika Srpska), un des "fronts de demain" (II)
La création de l'Etat de Bosnie et Herzégovine suite
aux accords de Dayton de 1995 (en réalité signés à Paris) devant mettre un
terme à la guerre de Bosnie qui débute en 1992 émane de la stratégie de
"nation building". Depuis cette date, même si ce presqu'Etat possède
des institutions politiques, il est sous le contrôle d'un Haut Représentant
internationale en Bosnie-Herzégovine, autrement dit sous la
"protection" d'un représentant du BAO. Depuis 2009, c'est un
autrichien Valentin Inzko, envoyé de Bruxelles, assisté de l’ambassadeur
étatsunien néo-conservateur David M. Robinson qui occupe cette fonction. L'ensemble de la Bosnie est dans une situation
socio-économique calamiteuse à peu près identique à celle de l'Albanie ou de la
Moldavie.
Ce pays est divisée en deux espaces, l'un à dominante culturelle musulmane, l'autre serbe
orthodoxe, la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (Fédération croato-musulmane)
qui a pour capitale Sarajevo et la République serbe de Bosnie dont la capitale
est Banja Luka. La première se trouve face à une crise économique mais aussi
démographique très grave. Les Musulmans (on parle ici de nationalité pour
désigner ce qui correspond essentiellement aux descendants de Slaves convertis
depuis l'occupation ottomane et qui ont obtenu une reconnaissance de
nationalité sous Tito) fuient la région en espérant trouver de meilleures
conditions de vie en Europe occidentale. Les pays de destination de ces
migrants sont principalement l'Allemagne et l'Autriche. La partie serbe est,
quant à elle, bien plus viable économiquement et stable politiquement que le
territoire peuplé de Musulmans. Ainsi est-elle la cible permanente des
opérations de subversions émanant des Etatsuniens et de leurs vassaux. Il n'est
pas inopportun de dire ici que les islamistes radicaux ont le champ libre dans
cette zone. On trouve ici comme ailleurs dans les Balkans des "centres
culturels", à Gornja Maoca, Ošve ou Dubnica depuis l'année 2012, qui sont
autant de centres d'entrainement pour jihadistes crées et commandés par un
certain Nusret Imamović. Le site du département d'Etat étasunien identifie ce
personnage de cette façon : "Nusret
Imamovic is a Bosnian terrorist leader operating in Syria. After his arrival, Imamovic actively supported violent extremism, and is
now believed to be fighting with al-Nusrah Front"[1].
Après être passé par Al-Qaida puis par le Front al-Nosra, Imamović comme
l'indique la note du département d'Etat, a rejoint l'EIIL en entrainant avec
lui les jihadistes de Bosnie. "Imamovic, who is named on a US State
Department terrorist list, is believed to be the third-in-command of Al-Qaeda's
Syria affiliate Al-Nusra Front"[2]. Husein Bosnic, un ancien membre
d'une unité de moudjahidines dans la guerre de Bosnie, a remplacé Nusret
Imamovic après que le départ de celui-ci pour la Syrie à la fin de l'année
2013, selon une source du département
d'Etat américain.
Si la plupart des Bosniaques de confession musulmane ne semblent pas devoir
adhérer à l'idéologie sunnite-salafiste importée en Bosnie dans les années 90,
plusieurs centaines d'éléments naviguant entre le Moyen-Orient et les Balkans
sont prêts à mener un nouveau combat en Bosnie mais aussi dans toute l'Europe.
C'est à Zagreb en Croatie qu'est lancé l'appel au Jihad de 1992. La
"guerre sainte" des moudjahidines sera, entre autres, financée par
des ONG islamistes séoudiennes. Des groupes djihadistes, comme les "Forces
musulmanes" d'Abu Abdoul Aziz, réunissent d'anciens combattants arabes de
la première guerre d'Afghanistan (1979-1989) et viendront en soutien à l'armée
bosniaque. A la fin de la guerre, ils partiront rejoindre les rangs des
rebelles en Tchétchénie (Avioutskii, 2005 : p. 228-229).
Or donc, en 2016 on peut identifier deux groupes
principaux parmi ces djihadistes. Le premier est composé d'anciens combattants
de la guerre de Bosnie (1992-1995) affiliés à Al-Qaida venus de cet immense
espace que les Etatsuniens ont nommé "Grand Moyen-Orient". Il faut
rappeler que durant la guerre de Bosnie, Oussama Ben Laden était un conseiller
d'Alija Izetbegović, protégé du démocrate étasunien Richard Perle. Ce dernier,
proche de G. W. Bush, fut collaborateur de Ronald Reagan mais également membre
du groupe Bidelberg, membre collaborateur du PNAC et, parmi d'autres fonctions,
administrateur du Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA)...
L'autre groupe est composé principalement de jeunes, récemment convertis au
salafisme. Depuis 2011, les actions de Bosniaques salafisés se multiplient. A
titre d'exemple, en 2015, dans la ville de Zvornik, Nerdin Ibric, un islamiste
a ouvert le feu sur des policiers.
Le BAO a d'autant plus intérêt à entretenir
l'existence de ces centres de formation pour terroristes que le président
actuel de la République serbe, Milorad Dodik, entretient de bonnes relations
avec le Russie de Vladimir Poutine. Les événements de 2014 qualifiés de
"Printemps bosniaque" - selon la formule générique appliquée à tous
les cas de déstabilisation des territoires suscitant l'intérêt du BAO - qui ont
touché l'entité musulmane devaient par ricochet générer des troubles dans la
Bosnie majoritairement Serbe. L'ambassadeur de Palestine en Bosnie a,
d'ailleurs - dans la grande lignée des analogies douteuses directement issues
de la grande fabrique du consentement "occidentiste" anti-serbe -, comparé
la situation de la Bosnie musulmane à celle de Srebenica, lieu du
"génocide" (selon la qualification du TPYI) des Bosniaques qui aurait
été perpétré par l'armée de la République serbe de Bosnie conduite par le
général Ratko Mladić et l'organisation paramilitaire serbe Scorpions née
lorsque la République serbe de Krajina fait sécession avec la Croatie. Une
qualification de génocide que Rony Brauman, au passage, rejette. Dans un
entretien accordé au magazine Témoignage chrétien en 2008, il affirme : "Les faits sont
pourtant clairs et acceptés par tous, mais on a appelé ça un génocide.
Srebrenica a été le massacre des hommes en âge de porter des armes. C'est un
crime contre l'humanité indiscutable, mais on a laissé partir des femmes, des
enfants, des vieillards, des gens qui n'étaient pas considérés comme des
menaces potentielles. (...) Que
l'on en ait fait un génocide montre bien que tous les massacres d'une certaine
envergure ayant fait l'objet d'une certaine préparation entrent dans cette
qualification. C'est une notion qui a perdu en profondeur tout ce qu'elle a
gagné en surface. (...) Je trouve frappant cette obsession de débusquer des génocides, comme
pour en être le combattant résolu. C'est vrai que Kouchner a vu un génocide au
Biafra, au Kurdistan, en Bosnie, au Kosovo, en Irak, au Soudan... Je crois que
cette notion de génocide est mobilisée parce qu'elle absolutise la situation.
Elle dépasse les complexités d'une guerre avec ses compromis, ses enjeux, pour
sortir du terrain de la politique et se mettre sur celui de la morale. (...)
Une fois qu'on a prononcé ce mot pour
qualifier une situation, toute discussion devient un atermoiement scandaleux,
toute prise de distance devient une espèce d'indifférence criminelle"[3].
Or donc, depuis que Washington a placé Alija Izetbegović à la tête de la Bosnie-Herzégovine
au début des années 90, peu de choses semblent avoir changé sur ce point : les
Serbes sont toujours les potentiels bourreaux des Musulmans, des musulmans en
Bosnie et de ceux vivant dans la totalité de l'espace ex-yougoslave...Si une
nouvelle guerre en Bosnie n'éclate pas dans les mois ou années à venir, au
moins, à considérer l'ensemble de la situation dans les deux entités, l'Etat
Bosniaque fera-t-il sans doute l'objet d'une réorganisation territoriale et
politique décidée par l'Union européenne ou Washington.
Tous les ingrédients sont réunis pour une
nouvelle implosion des Balkans qui mènerait à terme soit au retour du Kosovo et
de la Republika Srpska à la Serbie, soit à l'annexion par l'Albanie du Kosovo,
d'une partie de la Macédoine (ce qui
équivaudrait à la disparition de cet Etat) concrétisant pratiquement le rêve
panalbanais. Cette dislocation de l'espace géopolitique balkanique permettrait
l'"indépendance" de la Voïvodine (ou sa partition), entrainerait la
disparition de la Macédoine, et l'agrandissement de la Bulgarie. Selon Leonid
Petrovitch Rechetnikov, ancien Lieutenant-Général retiré de la direction du SVR
(service de renseignement extérieur russe), la Serbie, la Republika Srpska et
le Kosovo sont au centre d'une épreuve de force entre les Etats-Unis d'Amérique
et la Russie. Il ne faut pas oublier que le gouvernement serbe présente,
aujourd'hui en 2016, des éléments
pro-étasuniens et que les Russes mettent en garde la Serbie sur une possible
entrée du pays dans l'OTAN. La Russie conseille, de fait, aux Serbes de mettre
rapidement à distance ces politiciens serbes qui souhaitent approfondir la
collaboration avec Washington.
[1] "Designations
of Foreign Terrorist Fighters", Media
Note, Office of the Spokesperson, Washington, DC,http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2014/09/232067.htm,
en ligne le 24/09/2014, consulté le 16/02/2016
[2] "Once magnet for
foreign 'mujahideen', Bosnia now exports them", AFP, http://www.globalpost.com/article/6532425/2015/04/29/once-magnet-foreign-mujahideen-bosnia-now-exports-them,
en ligne le 29/04/2015, consulté le 16/02/2016
[3] Rony Brauman. "Deux ou trois choses que je
sais du
Mal..."http://temoignagechretien.fr/articles/societe/deux-ou-trois-choses-que-je-sais-du-mal,
en ligne le 17/01/2008, consulté le 16/02/2016
Avioutskii, V. (2005). Géopolitique du Caucase. Editions Armand Colin
(Extrait d'un livre non publié de Jean-Michel Lemonnier)
Voir aussi sur ce BLOGUE :
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/07/les-menaces-interieures-en-russie.html
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/07/les-menaces-interieures-en-russie.html
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samedi 8 octobre 2016
Guerre de et pour l'Eurasie : la Moldavie, un des "fronts de demain" (I)
La principauté de Moldavie créée au XIVe siècle passe
sous domination ottomane au XVIe siècle.
Annexée par la Russie en 1812 après le Traité de Bucarest, le territoire
qui passe sous domination russe est rebaptisé Bessarabie. En 1918, la "Grande
Union" permet la création de la Grande Roumanie ou Roumanie intègre, acmé
d'un processus qui débute en 1859 avec le Traité de Paris et permettant
l'émancipation et l'unification des populations roumanophones empêchées pendant
des siècles par différents empires (ottoman, austro-hongrois, russe). La
Bessarabie est alors rattachée à la Roumanie. Durant 22 ans, de 1918 à 1940, la
Roumanie connaît sa plus grande expansion territoriale. En 1940, grâce au pacte
germano-soviétique, l'URSS - alors que le royaume de Roumanie est encore dans
la camp Allié - annexe la Bessarabie, la Bucovine du Nord ainsi que l'arrondissement
de Herța (dans actuel oblast ukrainien de Tchernivtsi).
Au même moment, la Hongrie s'empare de la
Transylvanie et la Bulgarie de la Dobroudja du Sud. Le pacte germano-russe
rompu, le maréchal Ion Antonescu arrivé au pouvoir en 1940, compte sur une alliance
- purement pragmatique - avec l'Allemagne[1]
pour récupérer les territoires roumains. Rapidement avec l'aide de la
Wehrmacht, l'armée roumaine, qui participe à l'opération Barbarossa,
reconquiert la Bessarabie en 1941 qui est rattachée à la Roumanie jusqu'en
1944. Durant cette période (1940-1944), les violences perpétrées dans les
territoires sus-cités, aussi bien par un camp que par l'autre, sont inouïes.
L'Armée rouge soviétique massacre les Roumains de Bucovine, certains d'entre
eux sont déportés en Sibérie, puis c'est au tour de la Roumanie sous la
direction du Maréchal Antonescu (dont la responsabilité dans l'holocauste des
juifs de Roumanie est toujours discutée en Roumanie !) de détruire la
communauté juive de Bucovine et d'organiser des déportations massives de juifs,
mais aussi de Rroms et d'opposants au régime vers une Transnistrie récemment
conquise qui sera le tombeau de ces "indésirables". A l'issue de la
dernière guerre mondiale, la Roumanie perd la Bessarabie (Moldavie indépendante
et Boudjak qui revient à l'Ukraine, oblast d'Odessa) ainsi que d'autres
territoires (une partie de la Bucovine, de la Dobroudja) soit 58000 km2. Malgré
son passage dans le camp des Alliés en 1944, elle est envahie par l'Union
soviétique. C'est le début de l'ère communiste. Un communisme importé auquel
les Roumains de souche n'avaient jamais adhéré. En effet, le Parti Communiste
Roumain (PCR) jusqu'à l'immédiate après-guerre est le parti des minorités ukrainiennes,
russes, hongroises et juifs. Il ne doit sa transformation en parti de masse
qu'à la présence des armées russes sur le territoire roumain. De 1944 à 1991,
la Bessarabie devient une république socialiste soviétique. Mais elle subit des
modifications territoriales. Une partie du territoire, au nord et au sud est
transférée à la république socialiste d'Ukraine et la Bessarabie reçoit le
territoire oriental de Pridniestrovie (appellation russe) ou Transnitrie
(dénomination roumaine). La Moldavie redevient indépendante en 1991 après la
disparition de l'URSS. Durant
la même période, s'opère un retour à l'alphabet latin dans la nouvelle
république indépendante. Le
territoire moldave correspond aux deux tiers du territoire de l'ancienne Bessarabie.
Mais la partie orientale de l'ancienne Bessarabie, la République moldave du
Dniestr, la Pridniestrovie ou Transnitrie prenant pour capitale Tiraspol, fait
sécession avec Chișinău et reste sous domination russe. Il
est bon de rappeler que les russophones représentent de nos jours un tiers de
la population de Transnitrie, soit autant que les roumanophones et que les
ukrainophones.
Un conflit de nature à la fois politique, symbolique
et identitaire, armé mais de faible intensité éclate entre Moldaves
roumanophones et les Russes de Transnistrie, après l'indépendance ; les
nationalistes pro-Roumains soutenus par le BAO promettant, par ailleurs, de
chasser les "Russes" de Moldavie. Une union de la Moldavie
(territoire au-delà du Dniestr inclus) à la Roumanie aurait noyé les Slaves
russophones dans un océan de latinité, mais surtout aurait mis fin à
l'influence russe sur le territoire moldave. Le cessez-le-feu de 1992 puis le
référendum de 1994 remporté par les partisans d'une Moldavie indépendante éclipsent
durant des années le conflit entre nationalistes réclamant l'union de la
Moldavie à la Roumanie et les pro-Russes. En 2007, le président roumain Traian
Basescu permet, cependant, aux Moldaves qui le souhaitent d'acquérir la
nationalité roumaine. Le conflit entre Moldaves pro-Roumains et Moldaves
pro-Russes est latent...
Il convient de dire, que la Moldavie est
d'une grande importance stratégique. Sa situation géographique, entre les
Balkans à l'ouest et la Mer Noire, proche des Carpates et du Danube en fait une
position avancée pour le contrôle du Danube et des détroits depuis le XIXe
siècle et jusqu'à aujourd'hui. La rivalité entre la Roumanie et la Russie pour
la maîtrise de cet espace n'a jamais cessé, a fortiori depuis l'intégration de
la Roumanie à l'Europe communautaire et à l'OTAN. Les Etats-Unis et la Russie ont des
visées sur la Moldavie. Washington est toujours dans sa stratégie de conquête
de l'Europe de l'est et d'encerclement de la Russie et Moscou ne voit guère
d'un bon œil le passage de la Moldavie, pas plus que celui de la Pologne ou des
Pays Baltes, par ailleurs, dans l'aire d'influence du BAO. Ce rapprochement
progressif de la Moldavie avec l'Europe euro-atlantique, officialisé par la
signature d'un accord d'association avec l'Union européenne en 2014 est
évidemment condamné par Moscou. Sur le
plan de l'identité, diverses tendances traversent la société moldave. Une
frange de la population est partisane d'une réunification du pays avec la
Roumanie, une autre s'accroche à son particularisme et sans être hostile à son
voisin préfère la formule "deux peuples, deux Etats" à celles
"un peuple, deux Etats" ou "un peuple, un Etat". Sur le pan
économique, la Moldavie ne s'est jamais remise de la dislocation de l'URSS et
son indépendance lui a fait perdre de nombreux débouchés commerciaux.
L'industrie lourde et productive se trouve dans cette Transnistrie
sécessionniste. Malgré quelques investissements étrangers et une industrie
légère axée sur l'agro-industrie, la situation économique est peu reluisante.
Cette dernière provoquant un exil massif de Moldaves vers les pays du monde
euro-américain...En outre, la Moldavie est largement dépendante de la Russie,
en particulier en ce qui concerne l'énergie. Le gaz et le pétrole russe sont
indispensables à la république et Bucarest n'a pas grand chose à proposer
contre cette domination russe ni contre le chantage concernant la Moldavie.
Depuis la création de la république de Moldavie de
nombreuses crises politiques ont jalonné sa jeune histoire. La plus récente et
peut-être la plus aiguë est celle qui se déroule actuellement au regard de la
situation géopolitique dans cette Europe centre-orientale, et précisément à
cause de la guerre en cours en Ukraine, pays voisin de la Roumanie et de la
Moldavie. Cette
crise politique remonte au mois d'avril 2015 après la découverte d'une fraude
financière évaluée de plus de 900 millions d'euros. Cette somme disparue de
trois banques moldaves correspond à 15% du Produit Intérieur Brut de la
Moldavie. Suite a cet énorme scandale, des manifestations populaires ont
conduit à la démission du premier ministre Vlad Filat accusé d'avoir détourné
230 millions d'euros. Le 21
janvier 2016, plusieurs dizaines de millions de personnes expriment leur colère
à Chisinau, la capitale moldave, après la nomination de Pavel Filip un
européiste (pro-UE) et de son gouvernement approuvée par le parlement moldave.
La Moldavie pays de 3,5 millions d'habitants, est ethniquement roumain à 78%,
et russe à 12%. La société moldave souvent perçue, exagérément en Europe
occidentale, par le biais déformant du journalisme de masse, comme clivée en
deux avec d'un côté ses roumanophones, favorables à une entrée de leur pays
dans l'Union européenne et/ou d'un rattachement avec la Roumanie, de l'autre
des russophones hostiles à l'Europe communautaire et marqués par un tropisme
pro-russe. Pourtant, récemment pro-russes et partisans de l'intégration de
l'intégration de la Moldavie à l'Union européenne, forces politiques de droite
comme de gauche, dans une sorte d'union sacrée, ont défilé côte à côté pour
dénoncer la corruption du pouvoir. L'oligarque Vlad Plahotniuc, accusé d'avoir une
influence profonde sur le pouvoir central fait partie des cibles de ce
mécontentement populaire. En moins d'un an, trois gouvernements
ont été nommés. La situation
en Moldavie en janvier 2016 est pré-insurrectionnelle. Le mécontentement
populaire à l'égard d'un régime corrompu glisse lentement vers un point de
non-retour. Tour à tour et selon les sources, on accuse la Russie ou les
puissances du BAO de préparer un coup d'Etat en Moldavie. L'Ukraine orientale
est déjà à feu et à sang, la Moldavie suivra-t-elle ce funeste chemin ? Comment
réagirait la Roumanie membre de l'OTAN face à un guerre civile en Moldavie qui
ne tarderait pas à contaminer la République moldave du Dniestr ? Il est
impossible que la Russie laisse s'écarter celle-ci de son aire d'influence. A
l'évidence, toute déstabilisation
politique et action militaire menée par les forces armées de la République de
Moldavie, vraisemblablement soutenues par le BAO et la Roumanie entraineraient
une réaction virulente de la Russie. Celle-ci soutiendrait les Russes de
Pridniestrovie réclamant un rattachement du territoire de la rive gauche du
Dniestr à la Russie. Seulement, un conflit en Moldavie et en Transnistrie présenterait peu de similitudes avec le
conflit russo-géorgien de 2008 ou russo-ukrainien depuis 2014. L'espace
roumano-moldave a une histoire bien différente de celle de l'Ukraine par
exemple. Nous sommes ici dans une aire culturelle, linguistique et ethnique très
homogène occupée par des Roumains. Les russophones y sont le plus souvent
perçus, à juste titre au regard de l'histoire, comme des envahisseurs.
Si le projet eurasiste ou eurasiatique d'un Poutine ou
plus encore d'un Douguine (finalement mis à distance de l'université de Moscou
à l'été 2014), proche par ailleurs de Sergueï Narychkine président de la
Douma, est de
fonder un espace continental puissant libéré de la domination thalassocratique
euro-atlantique, une entrée en guerre directe ou indirecte contre le BAO en
Moldavie ne va pas dans le sens de l'intérêt de ce projet. Le problème est de
savoir quels sont les plans du BAO pour la Moldavie. Le site internet de l'OTAN indique qu'"Au sommet de
l'OTAN qui s'est tenu au pays de Galles en septembre 2014, les dirigeants des
pays de l’Alliance ont proposé de consolider la fourniture de soutien, de
conseils et d'assistance à la République de Moldova dans le cadre de la
nouvelle initiative de renforcement des capacités de défense et des capacités
de sécurité s'y rapportant (DCB)"[2]. Il
est également intéressant de lire sur ce même site que "la signature des accords d'association de
l'UE avec la Géorgie, la République de Moldova et l'Ukraine (...) permettront de travailler en étroite collaboration
pour consolider l'état de droit, faire progresser les réformes de l'appareil
judiciaire, lutter contre la corruption, veiller au respect des libertés et des
droits fondamentaux de même que pour renforcer les institutions démocratiques.
Ce sont là des buts que l'OTAN partage et soutient au travers de ses propres
partenariats avec ces pays et d'autres partenaires"[3]. Où
l'on a la confirmation que le projet européen de Bruxelles rejoint celui de
l'OTAN et que la question du sort de trois Etats (Géorgie, Moldavie, Ukraine)
sur laquelle le BAO et la Russie s'affrontent indirectement depuis des années est
loin d'être réglée.
(Extrait d'un livre non publié de Jean-Michel Lemonnier)
[1] L'Allemagne ne considérera la Roumanie, qu'elle occupe
à partir de 1940, jamais autrement que comme une "base avancée" dans
l'optique d'une invasion de l'URSS
[2] source :
http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49727.htm, consulté le 06/02/2016
[3] http://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_111484.htm?selectedLocale=fr,
mis en ligne le 27/06/2014, consulté le 06/20/2016
VOIR AUSSI sur ce blogue :
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/search/label/Moldavie
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/09/la-nature-eschatologique-de-la-guerre.html
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jeudi 8 septembre 2016
La marche irrésistible vers l'union de la Transnistrie à la Russie
Evgeni Chevtchouk, président de la Transnistrie (autrement nommée Pridnestrovie ou République moldave du Dniestr), vient de signer le décret d'application du résultat du référendum de 2006 favorable à l'adhésion de la Transnistrie, région historiquement roumaine et tardivement russifiée, à la Fédération de russie. Sans doute s'agit-il là de la réponse russe à la politique agressive de l'anglosphère et de son bras armé l'OTAN dans la région. A suivre :
Quelques liens en langue roumaine :
http://www.cotidianul.ro/transnistria-si-a-declarat-independenta-fata-de-moldova-si-alipirea-la-rusia-287521/http://www.hotnews.ro/stiri-international-21277327-liderul-separatist-transnistrean-evghenii-sevciuk-demarat-procedura-aderare-transnistriei-federatia-rusa.htm
http://unimedia.info/stiri/evghenii-Sevciuk-a-demarat-procedura-de-aderare-a-regiunii-transnistrene-la-federatia-rusa-121201.html
VOIR AUSSI : http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/02/roumanie-transnistrie.html
samedi 3 septembre 2016
La nature eschatologique de la guerre pour l'Eurasie 1- Attente eschatologique et messianisme dans le monde orthodoxe (PARTIE I)
La nature eschatologique de la guerre
pour l'Eurasie
La guerre qui se déroule actuellement
dans le Rimland, dans sa partie moyen-orientale, a réactualisé les attentes
eschatologiques autant chez les chrétiens orthodoxes que chez les protestants
ou les musulmans.
1- Attente eschatologique et messianisme
dans le monde orthodoxe
"Et les voûtes anciennes de Sainte
Sophie, dans la Byzance renouvelée, abriteront de nouveau l’autel du Christ.
Agenouille-toi devant elles, ô tsar russe, et relève-toi comme tsar de tous les
Slaves !". Fiodor Ivanovitch Tiouttchev (1803-1873)
"Le messianisme est un pressentiment
historique non seulement de la Deuxième apparition du Messie, mais aussi de
l’avènement du royaume de Dieu. Le christianisme est une religion messianique,
prophétique, tournée vers le futur, vers le Royaume de Dieu. La lumière vient
non seulement du passé, mais aussi du futur" (Berdiaev, 1948 : p.54).
Les tensions entre la Turquie et la Russie dans
le contexte de guerre au Moyen-Orient ont généré de fortes réactions
anti-turques dans le monde orthodoxe. Cela est, bien évidemment, lié aux
rapports conflictuels que l'aire civilisationnelle orthodoxe a entretenu avec
l'Empire ottoman puis la Turquie au fil des siècles. La prise de Constantinople
par les Turcomans en 1453 marque définitivement la fin de la splendeur de la
deuxième Rome orthodoxe. La Divine Liturgie ne résonnera plus dans l'église
Sainte-Sophie. C'est à partir de ce moment que Moscou va s'imposer comme
l'héritière de Byzance-Constantinople. Un retour historique s'impose ici pour
saisir que Byzance n'était déjà plus orthodoxe à l'arrivée des Turcs. En 1439,
le concile de Ferrare-Florence permit de conclure un accord entre chrétiens
latins et chrétiens grecs sur les différentes points, autant théologiques que
politiques alors en discussion. Le décret d'union affirme en particulier : que
le Saint-Esprit émane du Père et du Fils en même temps qu'il procède de l'un et
de l'autre comme d'un seul principe, la légitimation de l'ajout du Filioque,
les quatre fins de l'homme, la consécration de l'eucharistie qui peut se faire
autant sur du pain fermenté que sur du pain azyme, ou encore la primauté du
Saint-Siège apostolique et le pontife romain (le Pape) sur tout l'univers et
qu'au patriarche de Constantinople revient le second rang dans l'Eglise. Ces
affirmations remettent radicalement en cause la spécificité de l'orthodoxie. Le
11 décembre 1452 a lieu la dernière célébration de la Divine Liturgie orthodoxe
en l'église Sainte-Sophie de Constantinople. Le lendemain, 12 décembre,
le patriarche de Kiev et de toute la
Russie (mais en réalité privé de son siège par le Prince de Moscovie,
Basile) proclame l'union de l'Eglise d'Orient et d'Occident, et ce malgré
l'opposition du clergé orthodoxe et
l'hostilité de la population. Pour ces derniers, il s'agit à l'évidence d'une
trahison des dirigeants de Constantinople partisans de l'union des deux Eglises, Jean VIII paléologue puis Constantin
XI, dernier empereur romain d'Orient. Sachons, par ailleurs, que depuis 1451,
Constantinople n'a plus de patriarche. Grégoire Mammas rejeté par une partie
des fidèles quitte la ville pour rejoindre Rome. Jusqu'au 29 mai 1453, date de la dernière
sainte Liturgie, tous les offices célébrés dans la basilique n'ont donc pas été
des célébrations liturgiques orthodoxes. Cette union entre Eglise latine et
Eglise grecque-byzantine aura des conséquences graves, en particulier après la
conquête de Constantinople par les troupes turques ottomanes de Mehmet II, le
24 mai 1453. Les Ottomans transformeront alors Sainte-Sophie en Mosquée (puis
en musée des siècles plus tard). Le fait d'avoir accepté cette union entre
Latins et Grecs a, certainement, privé Constantinople du soutien de la Moscovie
(de Moscou devenue Troisième Rome) dans sa lutte contre les envahisseurs. Il
est possible que sans cet accord le dernier Empereur byzantin ait reçu plus de
soutien des chrétiens orientaux orthodoxes qu'il n'en a reçu de la part des
chrétiens occidentaux auxquels lui et son prédécesseur avaient pourtant fait de
larges concessions, à la fois sur le plan religieux et dans le domaine
politique. L'histoire de l'Europe, du monde, aurait alors suivi un chemin
totalement différent. Enfin, faut-il le préciser, l'idée d'une Moscou,
Troisième Rome, est avant tout le souhait des Serbes et des Bulgares qui souhaitent
que la Moscovie prenne le relai d'un Empire byzantin détruit. Elle est aussi
celle des Autrichiens qui espèrent flatter les orthodoxes russes et qui voient
dans la Russie un allié nécessaire pour contrer le péril ottoman qui menace
l'Europe centrale. Il n'empêche que le mythe d'une Russie héritière de Byzance
et protectrice de la Foi orthodoxe est bien une réalité qui imprègne nombre de
discours politiques et...eschatologiques...
Or donc, revenons à l'histoire récente. Le 26
novembre 2015, alors que l'armée turque membre de l'OTAN vient d'abattre deux
jours auparavant un avion russe dans le contexte de guerre en Syrie, des
manifestants pro-russes se mettent à brûler des drapeaux étasunien et turc en
plein centre-ville d'Athènes. On observe le même genre de scènes en Bulgarie.
Ce n'est pas un hasard si ces réactions violentes ont lieu dans des pays
orthodoxes colonisés par les turcomans, voisins de la Turquie actuelle. Il
s'agit bien de montrer sa solidarité envers les Russes et dans le même temps de
rappeler que la Turquie reste un ennemi du monde orthodoxe. Ce constat est
confirmé par le comportement d'autres nations de culture orthodoxe qu'elles
soient serbe ou roumaine, dont les ancêtres vécurent sur le territoire de
l'Empire grec-byzantin avant de connaître le joug ottoman durant des siècles. Mais
ces expressions de haine anti-turcs montrent quelque chose qui tient non
seulement de la réactivation du souvenir d'une histoire douloureuse pour les
peuples orthodoxes, mais aussi d'une attente à caractère eschatologique propre
au monde orthodoxe. Car, en effet, il existe quantité de prophéties nées au
cœur de la tradition chrétienne orthodoxe qui annoncent le retour de
Constantinople, aujourd'hui Istanbul, à la Foi droite. L'état des relations
entre la Turquie et la Russie est vu comme un signe de la Fin des temps et
comme la réalisation prochaine de cette prophétie récurrente qui proclame la
libération de Constantinople.
Ce sont principalement des saints de l'Eglise
orthodoxe, tels saint Païssios l'Athonite (1924-1994) ou saint Cosmas d'Étolie (1714-1779)
qui sont les auteurs de ces prophéties qui avancent que la Turquie et la Russie
se livreront un combat à l'issue duquel l'héritière de l'Empire ottoman sera
défaite. Selon l'une d'elle, la Turquie vaincue sera alors partitionnée,
divisée en trois ou quatre parties dont l'une d'elles deviendra le pays des
Kurdes. Un tiers des Turcs musulmans mourra, un autre tiers sera contraint de
regagner la terre d'origine des Turcs (en Tzoungarie dans la zone nord du
Xinjiang, au sud-ouest de l'Altaï ?), et le tiers restant se convertira au
christianisme. L'événement eschatologique commun à l'ensemble de ces
prédictions est, dans tous les cas, la libération de la partie turque de
l'ancien territoire de l'Empire byzantin, la libération de Constantinople par
les Russes qui la donneront à la Grèce.
Sans doute convient-il de
revenir, maintenant, sur le particularisme de l'homme russe d'attitude
traditionnelle, à travers ce qu'en disent à son propos certains intellectuels
russes - leurs trajectoires intellectuelle et spirituelle étant un témoignage de
ce mode d'être au monde - pour bien comprendre ce mysticisme largement imprégné
d'une vision géopolitique eschatologique grande-continentale. Selon Nicolas
Berdiaev, pour qui "L’homme n’est
pas une unité dans l’univers, faisant partie d’une machine non-rationnelle,
mais un membre vivant d’une hiérarchie organique, appartenant à un ensemble
réel et vivant", l'idée religieuse est consubstantielle à l'âme russe.
Il existerait, selon lui, deux types de conscience apocalyptique chez l'homme
russe. L'une serait de type ascétique et réactionnaire et émanerait
essentiellement des êtres qui se consacrent à la vie monastique attendant,
reclus, la fin du monde dans la terreur et l'angoisse. L'autre grande
conscience apocalyptique serait propre aux masses russes. Elle est une attente
de la réalisation de la justice chrétienne sur Terre mettant un terme aux
fausses valeurs et aux mensonges du monde bourgeois. En cela, le communisme
rejoint cette attente eschatologico-messianique orthodoxe qui ne correspond donc
pas à une passivité devant les événements de la vie, mais bien plutôt enjoint
chaque homme à s'activer pour faire naître le Royaume sur Terre.
Berdiaev, N. (1948). Le sens de
l’histoire. Essai d’une philosophie de la destinée humaine. Paris : Aubier-Montaigne (traduit par
S. Jankevitch)
Berdiaev, N. (1946). L’esprit de
Dostoïevski. Paris : Stock (traduit par A.
Nerville) (première publication 1923)
(Jean-Michel Lemonnier, 2016, extrait d'un livre non publié)
à suivre...
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