Pasolini,
marxiste critique à l'égard du "développement", "chrétien primitif" (et pagano-chrétien),
contre l'hédonisme, le permissif, le consumérisme qui relèvent du
conformisme petit-bourgeois (encore aujourd'hui, le succès de Michel
Onfray en France dans certains milieux illustre bien ce constat), contre
cette extrême-gauche des années 60 et la stupidité de ses thèses
("politique de la table rase"), mais aussi rejet de l’Église instituée
et de ses clercs qui préférèrent s'assoir à la table des "dominants", de
la droite capitaliste-fascisante italienne. Une Église progressivement
éjectée du jeu politique puisque devenue "inutile". Pasolini met en
avant l'idée que l’Église catholique romaine ne joue plus aucun rôle
dans l’oppression des peuples occidentaux (et dans celle de la femme, de
fait) et que la plus terrible des aliénations est celle de la
soumission au "spectaculaire marchand". En outre, l’Église doit donc en finir avec ses trahisons à l'égard du message du Christ et de son peuple et devenir le fer de lance des révoltes populaires à venir. Pasolini
écrira dans une série d'articles que l'on retrouve dans "Écrits
corsaires" (cf. infra) que la société de consommation, "l’hédonisme de
masse" (c'est son expression) et ce néo-capitalisme qui émergent dans
les années 60 et 70 ont réussi à créer un type anthropologique d'un
genre totalement nouveau et la "réduction [des Italiens et de tous les
'occidentaux'] à un modèle unique", "Frustration ou carrément désir
névrotique sont désormais des états d'âme collectifs".
Cependant,
derrière l'expression "société de consommation", Pasolini ne semble
guère vouloir distinguer la consommation qui permit aux plus modestes
d’accéder à des produits d'équipements qui ont pu améliorer leur vie, de
cette "consommation ludique, marginale et libidinale". Là, il faut
lire Michel Clouscard qui conteste cette appellation générique car selon
lui, il n'a jamais existé une telle société dans le monde occidental.
Si tel était le cas nous serions dans une société d'abondance (société
communiste aboutie donc).
Des
imbéciles ont voulu voir en Pasolini un "rouge-brun". Incompréhension
face à la complexité du personnage et de son discours de la part du
"vulgaire" et des idéologues qu'ils soient de droite ou de gauche
(extrêmes inclus) à cause de la binarité de leur mode de raisonner, de leur "hémiplégie morale".
Pasolini est assassiné à proximité de la plage d'Ostie (Rome), dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975.
Un
an avant sa mort, dans un éditorial du "Corriere della sera" du 14
novembre 1974, Pasolini menaçait, de fait, en affirmant : "Je sais
les noms des responsables de ce que l'on appelle golpe (qui est en
réalité une série de golpes (...)). Je sais les noms qui composent le
'sommet' qui a manœuvré aussi bien les vieux fascistes créateurs de
golpes que les néofascistes, auteurs matériels des premiers massacres et
que, enfin, les inconnus responsables des massacres les plus
récents..." Dans son roman "petrole", il souhaitait dénoncer la
violence et les crimes d’État, des industriels et du pouvoir économique
italiens.
"On l'a exécuté a affirmé il y a quelques années Pino son assassin présumé. Ils étaient cinq. Ils lui
criaient : "Sale pédé, sale communiste ! " et ils le tabassaient dur.
Moi, ils m'avaient immobilisé. Je ne l'ai même pas touché, Pasolini,
j'ai même essayé de le défendre..." Pour Pino, il y a cinq agresseurs : " les frères Borsellino, deux Siciliens fascistes et dealers", "ils
exécutaient une commande. Ils voulaient lui donner une leçon et ils se
sont laissés aller. C'est que Pasolini cassait les pieds à quelqu'un" La Loge P2 ?
Je suis une force du Passé. À la tradition seule
va mon amour Je viens des ruines, des
églises, des rétables, des
bourgs abandonnés sur les
Appennins ou les Préalpes, là où ont
vécu mes frères. J'erre sur la Tuscolane
comme un fou, sur l'Appienne comme un
chien sans maître. Ou je regarde les crépuscules,
les matins sur Rome, la Ciociaria,
l'univers, tels les premiers actes
de l'Après-Histoire auxquels j'assiste, par
privilège d'état-civil, du bord extrême d'un
âge enseveli. Monstrueux est
l'homme né des entrailles d'une femme
morte. Et moi, foetus adulte, plus
moderne que tous les modernes, je
rôde en quête de frères
qui ne sont plus
Poesia in forma di rosa,
Garzanti, Milano 1964
(1922-1975)
"L'Italie est un pays qui devient de plus en plus stupide et ignorant.
On y cultive des rhétoriques toujours de plus en plus insupportables. Il
n'y a pas de pire conformisme que celui de gauche, surtout,
naturellement, quand c'est adopté par la droite."
Sur
68, "révolte" de sinistres enfants de bourgeois, de narcisses
nietzcheo-debordiens et autres vaniteux jouisseurs marcusiens dont
l'unique but a été de prendre le pouvoir culturel puis politique. Une
bourgeoisie en a chassé une autre :
"J'ai passé ma vie à haïr les vieux bourgeois
moralistes, il est donc normal que je doive haïr leurs enfants, aussi…
La bourgeoisie met les barricades contre elle-même, les enfants à papa se révoltent contre leurs papas.
La moitié des étudiants ne fait plus la Révolution mais la guerre
civile. Ils sont des bourgeois tout comme leurs parents, ils ont un sens
légalitaire de la vie, ils sont profondément conformistes. Pour nous,
nés avec l'idée de la Révolution, il serait digne de rester fidèles à
cet idéal."
Sur le fascisme, l’antifascisme et la "société de consommation" (article Acculturation et acculturation, 9 décembre 1973) :
"Une bonne partie de l'antifascisme
d'aujourd'hui, ou du moins ce qu'on appelle antifascisme, est soit naïf
et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet elle combat, ou
fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique
qui ne peut plus faire peur à personne. C'est en sorte un antifascisme
de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le
vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la
société de consommation." "Le
fascisme, je tiens à le répéter, n'a pas même au fond été capable
d’égratigner l'âme du peuple italien, tandis que le nouveau fascisme,
grâce aux nouveaux moyens de communication et d'information (surtout
justement la télévision), l'a non seulement égratignée, mais encore
lacérée, violée, souillée à jamais." "Le centralisme fasciste n’a jamais réussi à faire ce qu’a fait le centralisme de la société de consommation [...] Le
fascisme proposait un modèle, réactionnaire et monumental, qui est
toutefois resté lettre morte. Les différentes cultures particulières
(paysanne, prolétaire, ouvrière) ont continué à se conformer à leurs
propres modèles antiques : la répression se limitait à obtenir des
paysans, des prolétaires ou des ouvriers leur adhésion verbale.
Aujourd’hui, en revanche, l’adhésion aux modèles imposés par le Centre
est totale et sans conditions. Les modèles culturels réels sont reniés.
L’abjuration est accomplie."
"On peut donc affirmer que la « tolérance »
de l’idéologie hédoniste, défendue par le nouveau pouvoir, est la plus
terrible des répressions de l’histoire humaine. Comment a-t-on pu
exercer pareille répression ? A partir de deux révolutions, à
l’intérieur de l’organisation bourgeoise : la révolution des
infrastructures et la révolution du système des informations. Les
routes, la motorisation, etc. ont désormais uni étroitement la
périphérie au Centre en abolissant toute distance matérielle. Mais la
révolution du système des informations a été plus radicale encore et
décisive. Via la télévision, le Centre a assimilé, sur son modèle, le
pays entier, ce pays qui était si contrasté et riche de cultures
originales. Une œuvre d’homologation, destructrice de toute
authenticité, a commencé. Le Centre a imposé - comme je disais - ses
modèles : ces modèles sont ceux voulus par la nouvelle
industrialisation, qui ne se contente plus de « l’homme-consommateur »,
mais qui prétend que les idéologies différentes de l’idéologie hédoniste
de la consommation ne sont plus concevables. Un hédonisme néo-laïc,
aveugle et oublieux de toutes les valeurs humanistes, aveugle et
étranger aux sciences humaines." ...
"Un personnage
comme Mussolini serait inconcevable aujourd'hui, du fait de
l’irrationalité et de la nullité de ce qu'il dit et parce qu'il n'y
aurait aucune place ni crédibilité pour lui dans le monde moderne. La
télévision suffirait à le rendre vain, à le détruire politiquement.
(...) Ses techniques convenaient pour un chef sur une estrade devant une
foule, mais elles ne marcheraient absolument pas devant un écran."
Changement total dans notre façon d'être et de communiquer.
Autre passage sur le néo-fascisme, tel que Pasolini le conçoit : la
société de consommation. "Le
fascisme
avait fait de ces foules, des guignols, des serviteurs, peut-être
partiellement convaincus mais il ne les avait pas atteint dans le fond
de l'âme. En
revanche, le nouveau fascisme, la société de consommation a
profondément transformé les jeunes, elle les a touchés dans ce qu'ils
ont de plus intime, elle leur a donné d'autres sentiments, d'autres
façons de penser, de vivre, d'autres modèles culturels. Il ne s'agit
plus comme à l'époque Mussolinienne, d'un enrégimentement superficiel
mais réel qui a volé et changé leur âme Ce qui signifie en définitive
que cette civilisation de consommation est une civilisation
dictatoriale. En
somme, si le mot fascisme signifie violence du pouvoir, la société de
consommation a bien réalisé le fascisme. Les démocrates chrétiens sont
devenus les véritables fascistes.Colères focalisées sur les fascistes
archéologiques alors que les véritables fascistes sont au pouvoir."
Pour certains penseurs néo-marxistes (Clouscard), répétition machinale, linéarité sont les caractéristiques de la musique rock, considérant celle-ci comme la musique du "grand capital". Une musique rock opposée au jazz et son rythme naturel. Le rythme du corps : le swing. "Le rock c'est le jazz sans le swing". Le rythme du rock serait le rythme du capitalisme. Mais aujourd'hui "la marque du rythme, répétitif, saccadé fébrile de la machine" (que Clouscard assignait au rock au début des années 80) sont les caractéristiques propres au rap. Le rythme du rap (mais aussi de la techno) c'est le rythme du capitalisme, n'en déplaise aux "gauches". Mais ce n'est pas uniquement le rythme qui en fait une musique du capital...
La musique rock des années 2000 semble n'avoir plus grand chose à voir, en apparence, avec les formes primitives du rock 'n' roll des années 50 et 60. C'est faux pour "le rock ou la pop 3 accords" qui inondent les stations de radio FM, ça l'est beaucoup moins pour ce que l'on peut considérer comme des formes évoluées de rock tel le heavy metal instrumental (qui naît dans les années 1980 véritablement et ignoré ou inconnu plutôt par ces marxistes) qui nous intéresse particulièrement ici. Le rythme originel du rock' n roll et ce "retour du même" sont balayés par ces néo-virtuoses de cette forme particulière de rock...ou plutôt de "jazz". Le rock, inspiré par la musique dite "classique", joué comme du jazz : création du hard rock instrumental. De fait, cette forme descendante lointaine du rock n'est plus "récupération" du jazz, temporalité abrutissante mais émancipation.
Fin de la répétition.
Pourquoi ? Parce que nous allons autrement et autre part en affirmant, que le rock n'est pas uniquement une question d'absence de swing, de "jazz sans son âme" que le rock ou metal instrumental présente ces particularités : rupture avec la linéarité du temps profane ou "déchirure" dans le temps linéaire par définition irréversible et passage dans un temps que faute de mieux on nommera "parallèle" pour la durée que dure l'écoute d'une composition. Remonter à l'origine du temps ou d' un événement qui s'est déroulé in
illo tempore, chose permise à certains élus pour retrouver un état
d'avant la "chute".
Le rythme pathologique de la modernité, l’irréversibilité du temps (le fameux temps linéaire du "progrès") qui est autant celui du stalinisme, sinon du marxisme, que du capitalisme est défié, combattu sinon vaincu.
Sur le plan musicologique l'utilisation de certains modes (improvisation
modale) permet cette différenciation, et cette émancipation de
certaines formes de musiques metal par rapport à un "rock basique". Décloisonnement. Dissonant par moment certes, donc "moderne" et pathologique par endroit mais cependant contestataire vis-à-vis de cette (post-)modernité. Ce genre metal instrumental est devenu autonome et n'est plus sous la dépendance du "rock primitif" binaire, forme la plus répandue de musique rock encore aujourd'hui. Il accomplit, abolit et dépasse les structures primitives du rock n' roll et combat, de fait, la "cadence folle du néo-capitalisme". Basculement.
L’œuvre musicale arrache donc l'auditeur à la "quotidienneté" du temps commun, du temps de l'histoire, de son histoire. Nous pourrions tout aussi bien évoquer la lecture de certaines œuvres, ou le visionnage d'un film ou d'une pièce de théâtre qui offrent au lecteur ou au spectateur l'occasion de réintégrer le "grand temps". Ce comportement s'apparente à une volonté de revivre d'une manière quasi-mystique un événement qui eut lieu à un moment donné dans le passé. Il ne s'agit de "voyager" dans le passé mais d’attirer ce passé vers le présent ; deux temps qui finissent alors par se confondre.
Le metal est-il de gauche, "marxiste" (2) ? C'est ce qui préoccupe ces pourfendeurs du rock, du hard rock et des musiques metal (mais ils ont la réponse depuis bien longtemps). Mais c'est hors-sujet pour nous. Ce que l'on peut dire c'est qu'il n'est pas "capitaliste".
Ce que les marxistes (certains) ont voulu voir dans le jazz, c'est une (au contraire du rock) adhésion à leur courant de pensée. Le jazz c'est la révolte (histoire de l'esclavage, de la ségrégation raciale) au contraire du rock qui ne serait, au mieux, que contestation. Ils ont désiré en faire leur musique. Une bande sonore pour accompagner l'émergence de "l'homme nouveau". Démonstration limitée.
La rébellion authentique n'est donc peut-être (et même certainement) pas, d'une part, dans le "rythme avec le swing" et, d'autre part, plus uniquement dans une rage anti-système exprimée à renforts d'anathèmes, de blasphèmes (aujourd'hui relativement communs) (1) mais dans cette volonté de (ré-)intégrer un temps fabuleux possiblement lié à une nostalgie des origines. Nous avons ici une manière confuse, non-exprimée, de dépasser sa condition humaine et de recouvrer la condition divine ou d'adopter un comportement,t mythologique. Et c'est cette condition perdue que le "moderne" chercherait à retrouver sans en avoir conscience à travers l'écoute de certaines musiques.
Mais cela n'intéresse pas le marxiste, le bourgeois (au sens de Flaubert) matérialiste ou le gauchiste. Même si l'individu appartenant à une des catégories ne rejette pas le metal, il ne le perçoit pas de cette manière. Pour lui, ce n'est, au mieux, que "ludicité-beuverie", s'il "accepte" cette musique.
(1) Il faudra revenir sur ce sujet. Les thématiques encore "subversives" des chansons au XXIe siècle, sont uniquement présentes dans certaines formes de hard rock ou de metal. La subversion ne vient absolument pas de la promotion d'un "individualisme" qui ne serait pas accepté ou acceptable dans une société occidentale comme l'affirment certains "spécialistes" du metal (ce dernier est entré à l'université comme objet d'étude, assurément signe de déclin d'un genre ou de genres désormais de plus en plus acceptés normalisés et donc récupérés, mais la réalité est peut-être un peu plus complexe, il faudra discuter de ce constat). Cet individualisme qui n'est pas strictement égal à l'égoïsme, n'a pas un caractère rare et est tout à fait accepté.
(2) Pour en revenir aux analystes "marxistes" faisant du rock, la musique de la "petite bourgeoisie", fermée sur elle-même, on pourrait discuter de ce qu'est le "fan de jazz" : un petit ou moyen-bourgeois élitiste et méprisant, un sinistre personnage nietzscheo-debordien qui s'approprie la musique noire-américaine...Il est vrai que la révolte ou la simple contestation à travers la musique ont, en effet, toujours fasciné les bourgeois. Le succès du rock, de la pop-music, du rap chez les classes moyennes ou les milieux de la bourgeoisie blanche occidentale est réel. On sait que le rap a été imposé "par le haut". Le rock, en partie.
Durant la décennie 80 du siècle dernier, un phénomène particulier émerge dans le monde du hard rock et du heavy metal. Des virtuoses -ou "shredders" même si le terme n'est pas tout à fait synonyme, il est parfois employé indifféremment pour désigner ces musiciens- c'est-à-dire des instrumentistes possédant un bagage technique bien supérieur à tous ceux qui les ont précédés (Malmsteen, Satriani,
Macalpine, V. Moore et quelques d'autres...) retiennent les leçons de musiciens de hard rock et heavy metal comme Ritchie Blackmore, Randy Rhoads, Eddie Van Halen précurseurs voire
prophètes dont ils accomplissent, abolissent et dépassent les œuvres en s'imprégnant
de musique ancienne (mal nommée "classique") sortent du carcan pentatonique-accords de
puissance en allant fouiller dans la discographie de musiciens de jazz-rock ou
fusion (Allan Holdsworth, Al di Meola...). La plupart sont étasuniens (ou naturalisés)
mais les influences viennent, très souvent, des musiques savantes européennes.
Pas vraiment des "rebelles" au sens ou le vulgaire peut l'entendre. La musique avant tout. Mais en
(ré-)introduisant de la "beauté" dans le metal, ils se distinguent fortement de ces cliques de groupes de suiveurs qui pataugent (déjà au milieu des années 80) dans la provocation
porno-sataniste de buveurs de mauvaise bière. Là se situe véritablement la dimension subversive de ces musiciens et de leurs compositions dans la mesure où ils remettent en cause la "doxa" en matière de jeu de guitare et de compositions. Pour prétendre devenir musicien de heavy metal, il ne suffira plus désormais de ressortir des plans pentatoniques interchangeables. Concernant ce dernier point, il est évident que nombre de musiciens ne dépoussiéreront pas leur jeu pour autant, mais c'est pourtant une véritable révolution dans l'histoire du monde du rock en général (et bien au-delà) qui se produit à cette époque.
On peut dire que la musique de ces virtuoses permet à l'auditeur de sortir du temps linéaire induit par l'homme-dieu qui s'incarne dans l'histoire (c'est bien le Christ qui a imposé une conception du temps en Occident et ailleurs) et d'entrer dans le temps sacré, mythique, fabuleux trans-historique, c'est-à-dire où présent et passé se confondent. A chaque écoute d'une pièce purement instrumentale -c'est à l'évidence la même chose qui se produit avec l'écoute d'une pièce de musique ancienne ou savante- l'auditeur réintègre non pas à proprement parler le temps que l'on réintègre à l'écoute un récit mythique dans une société traditionnelle, mais un temps fabuleux... Écouter une pièce de musique, qu'elle soit "classique" ou "métallique" (a fortiori instrumentale) c'est se révolter contre le temps de l'individu, se révolter contre le temps historique, transcender son propre temps et adopter un comportement mythologique. Ce temps mythique, cyclique, n'est, d'ailleurs, pas nécessairement le temps du paganisme. Les chrétiens utilisent, en effet, des catégories de la pensée mythique. Nombre d’éléments qui apparaissent propres au christianisme relèvent de la cyclicité : l'année liturgique par exemple. Le comportement du fidèle qui réitère rituellement la naissance, la vie et la mort du Christ appartient bien à cette catégorie.
On pourrait évoquer les différents sous-genres ou courants dérivés du heavy metal : le thrash, le death subissant tous les deux, l'influence des guitaristes virtuoses, mais surtout le black metal autre manière d'intégrer un temps fabuleux, mais aussi forme de régression musicale (il ne s'agit pas d'un jugement de valeur), de rejet de la "technique" qui se développe parallèlement au courant du metal instrumental, mais qui est pourtant aussi une forme artistique de rejet du temps de l'homme d'attitude moderne. Le black metal (on n'évoquera pas ici les thèmes propres à ce genre) qu'on n'opposera pas forcément à la démarche des "virtuoses"est sûrement, à sa manière, une forme de destruction d'un langage artistique, une force d'épuration, une manière de créer un chaos qui doit aboutir à un renouvellement, une nouvelle création, s'apparentant à la création d'une nouvelle cosmogonie. Un nouvel ordre cosmique succédant au chaos...
Évidemment,
nous pourrions considérer qu'il en est, également, ainsi concernant
l'écoute de toute pièce musicale "moderne" (metal ou pas), pour la
lecture d'un roman, etc. suite : musique-metal-et-temps-du-mythe-2
Maurice Duhamel (1884-1940) écrit "Histoire du peuple breton" en 1938 sur demande de l'organisation des Bretons émancipés de la région parisienne. Cette dernière est proche du parti communiste français dont un des fondateurs lors du Congrès de Tours de 1920, le Paimpolais Marcel Cachin, considérait que le breton était la "langue de la paysannerie et du prolétariat breton". Cette "histoire du peuple breton" rééditée en 2000 aux Editions An Here nous plonge au cœur d'une histoire fort mal connue par les Bretons (1) eux-mêmes. C'est une lecture marxiste de l'histoire de la Bretagne, sinon simplifiée au moins vulgarisée, que nous livre le Rennais Duhamel dans ce livre interdit par l’État français en 1939 Sans doute volontairement rédigé dans un langage simple pour mieux atteindre le petit peuple, ce livre présente l'histoire d'une nation. Aux propos liminaires sur l'héritage légué par les peuples néolithiques, se succèdent des explications sur le peuplement de l'Armorique par les Celtes, puis par les Bretons insulaires et sur les relations entre les Francs (Franks) et les Bretons continentaux jusqu'à la date symbolique de 1532. Une date qui marque la fin du processus de l'union de la Bretagne à la France amorcé 44 ans plus tôt avec le fameux Traité du Verger et qui met un terme à la "Guerre folle" (2). Le dernier chapitre du livre expose les réflexions de l'auteur sur la place de la culture bretonne en contexte européen.
La réédition de ce singulier ouvrage propose une annexe rapportant les propos du militant breton fédéraliste de gauche, lors de la présentation de son livre devant la 13e section des Bretons émancipés de la région parisienne dont le président d'honneur est... Marcel Cachin. L'intention est claire : le livre est une opération de "désintoxication intellectuelle" qui veut dépasser les "autres façons d'écrire l'histoire", redonner sa place aux "petites gens", sujets (et pas seulement "sujets") de l'histoire. Si cette histoire là est militante, elle est surtout scientifique et se fixe, donc, pour objectif de dissiper le brouillard du surnaturel, de sortir d'une histoire religieuse ou aristocratique de la Bretagne et refuse d'attribuer au peuple breton des qualités uniques, d'en faire une sorte de "peuple élu" comme de coutume sous la plume des indépendantistes.
Original, l'ouvrage l'est assurément puisqu’il est, sans doute, encore le seul aujourd'hui à narrer l'histoire des Bretons à la lumière de la méthode marxiste. On notera, néanmoins, outre quelques raccourcis -mais un petit petit livre d'une centaine de pages ne peut, évidemment prétendre à l'exhaustivité- des approximations ou des biais cognitifs de confirmations d'hypothèses. Ainsi, on ne peut guère accepter de lire, de nos jours, que le peuple breton accepta le christianisme avec bienveillance.
Ces phrases "Il est croyable que le christianisme naissant ne bouleversa pas davantage la morale celtique" (p. 32) puis plus loin "Ainsi les Bretons durent accueillir sans difficulté une religion qui ne s'opposait pas à leurs croyances traditionnelles, qui s'accordait avec leur morale (...)" (idem), montrent une méconnaissance des mœurs du "bas-peuple" breton tel qu'il se présentait jusqu'au début du XIXe siècle. Ainsi, il est fort probable que pour un bon nombre d'habitants de cette Bretagne rurale, cette morale chrétienne resta fort mal connue pendant de nombreux siècles. Les mœurs du clergé breton ("on voit des évêques mariés qui se repassent la crosse de père en fils" écrit fort à propos Duhamel, p. 59) incitèrent, à l'évidence, ce petit peuple à préférer l'ancien état des choses en matière de spiritualité... Gwenc'hlan Le Scouézec va dans ce sens quand il affirme dans "Bretagne terre sacrée. Un ésotérisme celtique" paru en 1977, qu'une partie du petit peuple Breton ignorait, encore au XVIIIe siècle, jusqu'au nombre exact de dieux qui composaient le "panthéon chrétien" (!)...
Couverture de l'édition originale interdite en 1939 Livre intéressant donc, qui tient à distance l'hystérie identitaire et dont la lecture doit se faire avec la permanence de l'idée qu'il fut rédigé avec un état des connaissances sur l'histoire de la Bretagne daté des années 30 du XXe siècle, période où, par ailleurs la IIIe république multiplie les vexations à l'égard des Bretons. De surcroît, il faut considérer que cette histoire a été écrite par un auteur, fasciné comme bon nombre d'intellectuels de son époque, par un pouvoir soviétique favorable aux minorités et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et qui rêvait d'un pareil modèle pour la France et la Bretagne, de fait. Lemonnier J-M
(1) Qui est Breton ou qu'est-ce qu'un Breton nous demandera-t-on ? Nous n'entrerons pas dans cette discussion forcément polémique et idéologisée. En effet, si on peut se débarrasser -facilement- en répondant "celui qui a la nationalité française" à la question "qui est Français?", la première interrogation nous emmènerait bien trop loin au-delà du cadre de ce petit article. (2) La "Guerre folle" est une révolte de seigneurs contre un pouvoir royal prétendu faible, du fait de la période de régence assumée par la jeune Anne de Beaujeu (de Valois) âgée de 22 ans et fille du défunt Louis XI. Cette "Guerre" s'achève en 1488 par la victoire des troupes françaises de Charles VIII sur les troupes de François II de Bretagne ( et de coalisés ) lors de la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier. Le Traité du Verger, conséquence de la défaite des féodaux et de François II, fait passer quatre places fortes bretonnes sous le contrôle du roi de France. Mais surtout, le Traité interdit à une héritière du duché de Bretagne de se marier sans l'accord du roi de France. Anne de Bretagne, fille de François II et héritière du duché de Bretagne, violera pourtant le traité en épousant Maximilien Ier du Saint Empire. Le roi de France fait annuler le mariage. Anne désormais promise à un prince, exige un mariage avec Charles VIII. Une fois mariés, le roi lui interdit de porter le titre de duchesse. Lors de son deuxième mariage avec Louis XII, Anne retrouve son titre. Publié par Jean-Michel Lemonnier à vendredi, août 23, 2013 Lemonnier J-M
ROGOZ
(G. V.), Drǎculeştii, Cutezǎtorii, Editura Albatros, Bucureşti,
Republica Socialistǎ România, 1977
Ma traduction d'une lettre (réécrite en roumain moderne) de Vlad III adressée à Matthais (Matei) Corvin, roi de Hongrie de 1458 à 1490 :
"Nous ne voulons pas nous enfuir devant leur sauvagerie, mais les combattre de n'importe quelle manière. Et si nous arrivons, Dieu nous en garde, à une fin tragique, notre petit pays [la Valachie] sera anéanti. Cela ne servira pas non plus à votre Grandeur, car cela provoquera un grand dommage à la chrétienté entière."
Vlad III Basarab (1431-1476 ou 1430-1477) de la famille des Drăculea ou lignée des Drăculeşti, ou Vlad Ţepeş soit en français Vlad l’Empaleur (Ţeapă=pal en roumain, d’où son surnom),voïvode (1) de Valachie, fils de Vlad II et petit-fils de Mircea Ier l’ancien (Mircea cel batrân), est considéré comme un des seigneurs de guerre des pays roumains les plus fameux qui lutta contre les invasions turcomanes pour préserver son royaume et la chrétienté, mais aussi contre ses "ennemis de l'intérieur" (Boyards saxons, moines capucins, etc.), relations particulières avec Matei Corvin roi de Hongrie ami-ennemi. Il cherchera à venger son père Vlad II (membre de l'ordre du dragon d'où son surnom Vlad Dracul (2)) et son frère ainé Mircea II le jeune, assassinés sur ordre de Jean Hunyade (Iancu de Hunedoara) avec la complicité des boyards de Transylvanie, des commerçants des villes saxonnes de Sibiu et de Brasov.
Les Saxons de Transylvanie, ennemis du voïvode, le présentent dans les contes
allemands (1488), abondamment illustrés de gravures, comme un cannibale
buveur de sang, prenant ses repas au beau milieu
d’une forêt de pals où agonisent ses ennemis...d'où son doux surnom
d'empaleur et sa réputation désastreuse, bien que n'ayant jamais hésité à châtier avec la plus grande fermeté ses opposants, ses ennemis ottomans (la "forêt des 20000 pals" décrite par Victor Hugo a-t-elle jamais réellement existé?)
En outre, le surnom d'empaleur ne semble apparaître que très tardivement, en 1550, dans une chronique valaque...
De nombreux épisodes de la vie de ce seigneur ont été portés à la connaissance du grand public cultivé.
Moins connu est ce rapprochement des "attitudes politiques" du Valaque avec celles du roi de France Louis XI :
Florin Constantiniu
(1933-2012) établit un parallèle entre Vlad III et Louis XI roi de
France de 1461 à 1483, contemporain du voïvode de Valachie : "L'un et l'autre ont du
tenir tête -évidemment dans des conditions différentes- à l'anarchie
féodale ; l'un et l'autre ont poursuivi la consolidation du pouvoir
central ; l'un et l'autre ont eu recours -afin d'atteindre leur
objectif- à des moyens qui ont frappé la sensibilité et l'imagination
des contemporains : Louis XI est devenu 'l'araignée' qui tisse sa toile
afin d'y attraper ses victimes, Vlad est devenu le sanglant empaleur". (in Bulei I., 2013, "Brève histoire de la Roumanie, Ed. Meronia, p. 55)
Le
portrait du voivode exposé à Bucarest lors d'une exposition en 2010.
Le portrait fort connu du prince valaque est conservé depuis 400 ans à
Vienne au musée du Château d'Ambras (Autriche)
Louis XI revêtant l'ordre de Saint-Michel, plus précisément « Ordre et aimable compagnie de monsieur saint Michel » (3) sur un portrait anonyme du XVe siècle. L'ordre est créé par Louis XI pour s'assurer de la fidélité d'une poignée de chevaliers, à un moment où comme nous l'avons déjà évoqué, le roi n'accorde plus sa confiance à ces seigneurs vassaux, ces féodaux qui menacent son autorité, sa légitimité de souverain. Louis eut à lutter contre une coalition de princes (la Ligue du Bien Public) et notamment les Bourguignons et Charles le Téméraire défiant le pouvoir royal. Quand il succède à son père Charles VII en 1461, il est à la tête d'un royaume en ruine, dévasté et amputé par les conquêtes des Bourguignons et les Anglais lors de la guerre de Cent ans. A sa mort, en 1483, il a, notamment, récupéré le duché et le comté de Bourgogne, la Picardie, la Cerdagne et le Roussillon. Louis XI fait embastiller les intrigants et installe une "chambre de la question" dans la prison royale (la Bastille, donc). L'évêque de Verdun, par exemple, fera l'expérience de l'emprisonnement dans une de ces"cages de fer" (ou en bois?) suspendues et souvent nommées "fillettes". Mais si ces cages ont réellement existé, les "fillettes" n'auraient jamais été que le nom donné à de "simples" chaînes en fer munies d'un boulet immobilisant le prisonnier... Néanmoins, il est certain que Louis XI n'a jamais été plus violent ou cruel que la moyenne des rois. "L'universelle araigne" a surtout retissé la toile royale grâce à la ruse et une certaine diplomatie pour réorganiser l’État royal et redonner une cohésion à cette France affaiblie qu'il avait trouvée en montant sur le trône.
Vlad III lui aussi sut s’entourer de fidèles pour empêcher toute contestation de son pouvoir mais semble, contrairement à Louis XI, n'avoir jamais hésité à utiliser la manière forte (et il l'a même privilégiée) pour assoir son voïvodat, en réprimant dans la violence toute rébellion sur ses terres. Écarté du pouvoir à plusieurs reprises, après avoir été prince de Valachie en 1448 puis de 1456 à 1462, il revient une dernière fois sur le trône de Valachie en 1476 ou 1477 grâce au soutien de son cousin Etienne le Grand (Stefan cel Mare), avant de mourir dans d'"étranges" conditions, trahi une fois de plus...
Voir "La Roumanie : mythes et identités" ici par exemple :http://www.priceminister.com/offer/buy/152933464/la-roumanie-mythes-et-identites-de-jean-michel-lemonnier.htmlpour, notamment, une enquête approfondie sur les liens entre Dracula le Valaque (le personnage historique) et Dracula l'Anglais (le personnage de fiction) créature issue de l'imagination de la française Marie Nivet bien plus que de celle de Bram Stocker (qui serait donc un plagiaire?), selon Matei Cazacu, et qui introduit un sujet plus vaste : celui la conception de l'au-delà, de la vie après mort chez les Roumains, la croyance en des êtres ni-morts ni-vivants (strigoi vii, strigoi morti ) et la résurrection des morts... Dans ce livre, sans outre mesure, un autre parallèle est fait entre le Conducător communiste Ceaușescu et Vlad III...
(1) Prince, souverain d'une principauté ou officier de rang princier (voievod en langue roumaine)
(2) Drac= diable en roumain, dracul= le diable, draco= dragon en latin, et drákôn. en grec
(3) Ordre dont le siège se situait dans l'abbaye du Mont-Saint-Michel