: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes

jeudi 17 octobre 2013

Voici venu le temps des frustrés revanchards (1) : surtout la faute aux « gauches »

 Publié  par Jean-Michel Lemonnier jeudi 17 octobre 2013 - sur AGORAVOX

On ne dira jamais assez à quel point la responsabilité (certes indirecte) des mandarins de l'université française et plus généralement des intellectuels des "gauches" social-démocrate et crypto-trotskiste (sévissant essentiellement dans le domaine des sciences sociales), est grande dans la montée des idées "réactionnaires" ou entendues comme telles par ces mêmes caciques, "têtes pensantes" de la nation. En s'appuyant largement sur l'œuvre de Gilles Deleuze et surtout celle de Michel Foucault et sa critique de l'Etat (et en la prolongeant) ceux-ci n'ont fait qu'accompagner ou valider les thèses des ultra-libéraux depuis les années 70. Ces "intellectuels" en faisant des travaux de Foucault (déconstruction...) la pierre d'angle de leur système de pensée, ont défendu, de fait, la thèse de l'Etat minimal (la tentation minarchiste, Foucault, Hayek même combat !). Or, si cette analyse pouvait (vraiment à l'extrême limite) être considérée sérieusement, il y a 45 ans, on sait aujourd'hui que le pouvoir réel n'est plus vraiment dans les mains de l'Etat, et pas exclusivement non plus dans celles des firmes transnationales mais bien dans les mains d'un vaste réseaux d'acteurs privés (économie offshore par exemple) et d'instances supra-nationales (il y a plus de lobbies que de députés à Bruxelles !). Disons, pour faire court, que ce pouvoir économique s'observe à travers des dynamiques conjointes, dans un compromis sans cesse renouvelé entre des États certes affaiblis et des acteurs financiers et des superinstitutions internationales.


 En laissant le soin aux caricaturaux représentants des "droites" dites nationales (de De Villiers à Le Pen) de discréditer tout discours sur la souveraineté nationale depuis 30 ans (ce fut le rôle de la bande à Mitterrand de faire taire le discours souverainiste à gauche en inhumant le patriotique P.C.F.), ces "sensibles de gauches" ont volontairement permis la relégation des discours défendant l’État fort et souverain au rang d'outrances fascisantes. Tout cela, évidemment, pour "vendre" un projet européen (en réalité euro-étasunien) qui servirait les lobbies, les puissances d'argent et sûrement pas la qualité de vie des peuples du vieux continent...(comment l'Union européenne détruit les services publics français) De même, en abandonnant l'idée de prolétariat (il faut inclure, aujourd'hui une grande partie des classes moyennes productives -l'ingénieur par exemple- dans celle-ci) et en ayant renoncé à défendre les classes populaires en s'appuyant sur des catégories d'analyses sociologiques nulles et non avenues (les "jeunes" par exemple) et développant à l'infini des sujets d'études (mobilité-flexibilité, genre, domination patriarcale...) empruntés à la gauche libérale étasunienne, en somme, en abandonnant les raisonnements en termes de classes sociales et en "construisant" des "communautés", des "tribus postmodernes" -le tout s'accompagnant d'une inflation verbale et de langages hermétiques- et en se désintéressant des préoccupations des plus démunis (socialement, culturellement), ils se sont mis à dos le peuple souffrant.


On sait quel a été le rôle fondamental des "gauchistes de mai" dans la liquidation du marxisme (à droite, l'avènement de la droite économique/des affaires initiée par Pompidou, achevée par Sarkozy devait enterrer le gaullisme). Ce travail effectué, ces faux-ennemis que sont les gauchistes libertaires et les libéraux économiques ont tracé une autoroute au néo-capitalisme et... à des travaux à prétention scientifique qui ne pouvaient que s'inscrire dans les limites de ce postulat : le caractère indépassable du capitalisme auquel on pourrait bien faire quelques reproches, dénoncer les abus, sa violence (appels incantatoires à plus de justice sociale) sans bien évidemment le remettre en cause. De surcroît, en traitant systématiquement sur le mode du sarcasme, du mépris tout ce qui a rapport avec les "traditions", les "coutumes", l'idée de transmission, et d'éducation (2), la famille (qui serait une valeur de DROITE !), et plus encore la religion (en somme tout ce qui est contenu dans le catéchisme de la veulerie gauchiste) auxquelles encore une bonne part des classes populaires semble (cf. infra) attachée, ces "analystes" et leurs analyses qui ont guidé les différentes politiques sociales et sociétales depuis 40 ans se sont, définitivement, mis à dos toute une frange de la population française.


Aujourd'hui, crises sociale, économique, sociétale et identitaire gravissimes aidants, cette sphère des élites politico-intellectuelles de "gauche" apparaît en tout cas totalement discréditée aux yeux du Français moyen (il est bien sûr presque totalement exclu que ces êtres intellectuellement supérieurs fassent un travail d'introspection, un examen de conscience). Qui peut savoir quelles seront les conséquences définitives de l'incurie d'une partie de cette génération issue de 68 (et de ses non moins fidèles  héritiers politiques (ou ici) et intellectuels (ou ici)) ; le mai 68 sociétal sorbonnard, autrement dit ce qui n'aura été qu'une régression infantile et "anale" d'histrions fangeux  ?


Au fil des ans, face à l'imposture 68arde, aux trahisons successives des "gauches" et d'une droite de gouvernement piétinant les acquis du gaullisme et l''impuissance de l'ensemble de la classe politique à résoudre les problèmes de fond du pays, se développent alors des pseudo-oppositions totalement étrangères aux préoccupations de la majorité de la population qui s'illustreront à merveille à travers un fameux débat avec d'un côté, des libéraux-lepenistes fustigeant les "marxistes", les "socialo-communistes" la "menace rouge" (entendu que la gauche a enterré le marxisme il y a plusieurs décennies de cela) de l'autre des gauchistes-libéraux répondant aux premiers sur l'air de la "menace fasciste" à laquelle un Lionel Jospin (le socialo-trotskard par excellence) voire un Julien Dray avouent, finalement, ne jamais avoir cru. Mais il fallait bien une figure du diable, un repoussoir absolu pour permettre la pérennité de "l'alternance unique"...


Face à la nullité du débat politique, les classes moyennes (la fameuse "classe unique", constituée par l'arrachement des individus aux valeurs traditionnelles, qui a voulu participer au pouvoir) veautants quinquennaux, abruties à coups de ligue des champions, de tambours et de grosses caisses d'orchestres de variétés, de séries et de jeux débilisants d'importation US, de consommation transgressive, de beauferies TF1-Canaplusiennes, de "soirées entre potes" devant "pop-academy" (pour rigoler bien sûr !...) ont été mis devant des faux-choix politiques (Sarkozy/Royal-Hollande ou encore fascisme/antisfascisme) ou sociétaux (hystérie féministe contre machisme de gros beaufs) permettant le maintien du système en l'état. Il est donc, sans doute, permis de relativiser l'attachement des classes populaires aux valeurs précitées... L'homo festivus, "fils naturel de Guy Debord et du web" (Ph. Murray) est-il devenu le type anthropologique dominant en France ? Si tel est le cas, la partie est finie...(3)

 
Clouscard avait-il donc raison en affirmant l'enfantement de Le Pen par Cohn-Bendit ou disons leur engendrement réciproque (4) ? Le lépenisme alimente le gauchisme et réciproquement, certainement. Mais pour déboucher sur quoi à terme ?


"Le néo-fascisme sera l’ultime expression du libéralisme social libertaire, de l’ensemble qui commence en Mai 68. Sa spécificité tient dans cette formule : 'Tout est permis, mais rien n’est possible.' [ Puis ], à la permissivité de l’abondance, de la croissance, des nouveaux modèles de consommation, succède l’interdit de la crise, de la pénurie, de la paupérisation absolue. Ces deux composantes historiques fusionnent dans les têtes, dans les esprits, créant ainsi les conditions subjectives du néo-fascisme. De Cohn-Bendit à Le Pen, la boucle est bouclée : voici venu le temps des frustrés revanchards.", Michel Clouscard, 2002


Qui proposera un projet politique ni "permissif", ni "répressif", qui pemettra de renvoyer dos à dos gauchistes-droitards-libéraux/libertaires et leurs nécessaires complices lepenistes ? Qui ou quoi s'élèvera contre l'hyper-vulgarité et l'indigence de cette classe politique et de son double extrêmisme épouvantail, essentiel à sa survie, pour envoyer l'ensemble (intelligentsia incluse) dans les poubelles de l'histoire, refermera le couvercle et mettra un terme à cette pathétique période de l'histoire de France ?...


_________________________________________________________________________

 

(1) Ce n'est pas nécessairement une insulte...mais ça peut l'être...

 
(2) L'enfant n'est plus un être à civiliser, mais un narcisse, un monstre d'égoïsme face auquel aucune barrière ne doit être érigée pour permettre son avènement, le développement de sa toute-puissance. L'affirmation d'une différence entre adultes et enfants, de même celle d'une différence homme/femme étant aux yeux de ces marcusiens, une horrible discrimination qui devra être corrigée par des mesures particulières, par une rééducation (on en revient toujours à ces fameuses déconstructions) pour faire taire à jamais ces abominables archaïsmes. Ce travail de déconstruction est évidemment, encore une fois, assigné à ces universitaires "freudo-marxistes" (mais bien sûr ni freudiens, ni marxistes) ou "marxistes culturels" (autrement dit non marxistes) qui affirment le primat presque absolu du culturel sur le biologique. Et, on comprend en lisant ici et là certaines publications, le niveau de démence atteint par certains de ces chercheurs accrédités...

 
(3) Il est peut-être déjà trop tard... "L'immense majorité de la population française" est-elle déjà "enfermée et abrutie" dans le "ghetto du nouvel apartheid spectaculaire (a) " ? (Debord (G), 1985, Œuvres complètes in Michéa (J-C), 2011, p. 344 Le complexe d'Orphée, Climats). On ne peut proposer une réponse définitive.


        (a) Notes/digression sur Debord et son "spectacle" : alors qu'il refuse de considérer le spectacle comme de simples images, en décrivant le spectacle comme partie de la société ou la société porteuse du spectacle, réduit bien ce dernier à des images. A savoir, la pub/les marques, la télé et le sport professionnel par exemple et deux trois autres choses dans les démocraties libérales et la propagande dans les Etats totalitaires...Debord aurait dû en rester à "le spectacle est la société même" ou à "le spectacle est rapport social d'individus médiatisé par des images". Ses adorateurs qui citent avec un air pénétré des passages de "la société du spectacle" n'auront pas relevé les contradictions de l'auteur préféré des bourgeois du 16e arrondissement parisien et/ou des publicitaires. Debord n'a rien inventé (Jacques Ellul le confirme) et l'œuvre de Debord n'est donc qu'un affadissement d'une partie de l'œuvre de Karl Marx mêlée à des références sado-reichiennes (incompatibles avec celle du marxisme) qui ne pouvaient guère parler aux classes laborieuses.


Pour finir, le concept de spectacle a été défini confusément au fil de la plume de Debord (donc mal compris) et l'I.S. des Debord -le fils de bonne famille- et cie comme d'autres organisations gauchistes de mai n'auront été que des organisations d'alcooliques névrosés affectivement bloqués, monomaniaques anti-chrétiens (éduqués sur les genoux des jésuites, ceci expliquant cela...) qui auront indirectement produit des personnages caricaturaux de beaufs anar-bourgeois à la Siné...et autres subjectivistes radicaux à la Michel Onfray, incapables de créer de nouveaux mythes en mesure de remplacer ceux du "vieux monde", comme les membres de l'I.S. le prétendaient. Le festivisme des indignés des "gauches actuelles" est certainement un des plus "beaux" héritages des fumisteries situationnistes des années 60.


En outre, face à la conceptualisation clouscardienne de haute volée, l'œuvre de Debord apparaît bien faible...Le concept de "société du spectacle" ne serait qu'un habillage idéologique forgé avec "l'aide" des classes moyennes, un système d'enfermement conceptuel au sein duquel les exploiteurs dictent leurs règles et taisent la réalité de la lutte des classes, donc un faux système de représentation verrouillé par des intellectuels de gauche. Affirmons la supériorité de la socio-philosophie de Clouscard sur les vulgaires slogans situationnistes qui ont tant inspiré la rédaction des directives ministérielles depuis 40 ans...mais aussi face à la verbeuse philo-sociologie foulcado-bourdieusienne pour comprendre le jeu politique actuel et les rapports de dominations.


(4) Cohn-Bendit/ Le Pen soit le couple "permissif-répressif ".
Sur le "mai Cohn-Bendit" : on n'insistera pas sur le fait que ces supposées émancipations des jeunes, des femmes, n'ont été que des conditionnements à l'imaginaire capitaliste. Sujet méritant amples développements...

Publié  par Jean-Michel Lemonnier jeudi 17 octobre 2013 - sur AGORAVOX

 

vendredi 11 octobre 2013

(Post-) Modernité et déchéance

L'homme moderne, c'est l'homme déchu. C'est l'homme qui prend conscience de sa nullité face au règne de la quantité et qui est, en même temps, parfaitement narcissique. C'est l'homme qui n'existe que parce qu'il porte une marchandise dans ses bras. Si on lui enlève cette marchandise il n'existe plus en tant que "moderne". Il ne redevient alors pas pour autant un homme des sociétés traditionnelles, il est simplement perdu. Il n'a, alors, plus d'existence au sein de la "modernité". L'homme moderne c'est l'homme repu, autosatisfait, c'est celui qui ne s'interroge que peu sur lui-même. C'est l'homme esclave de ses passions mauvaises, orgueilleux, ennemi des gens de bien, coupable d'hybris. Il vit dans le chaos. C'est un "individu". Mais ce qui le caractérise le mieux, et si on s'exprime clairement c'est la haine du sacré qu'il porte en lui. Il ne peut guère penser l'existence en dehors de l'économie. A l'inverse le monde traditionnel ne conditionne plus l'existence humaine à travers des impératifs économiques qui deviennent, dans ce cas, subordonnés à des principes extra-économiques susceptibles de donner un sens profond à l'existence humaine et de permettre le développement des capacités les plus hautes. L'homme (post-)moderne est prisonnier de l'histoire. Son esprit obscurci par la matière, focalisé sur le monde sensible est alors dans l'incapacité de soupçonner l'existence d'un monde suprahumain. Le moderne est agonisant, il se retourne sur son lit, incapable de se tenir debout, sensible aux convulsions de l'histoire. Sa chute dans le règne du matériel lui ôte, de fait, toute nostalgie du divin. Il n'a alors que deux possibilités : s'effondrer totalement, définitivement et aller vers son anéantissement complet, sa néantisation, c'est-à-dire vers une"seconde mort" ou bien s’élever, s"augmenter" au prix d'un effort  qui demande des "forces" difficilement mobilisables pour un homme d'attitude moderne.

 La modernité (ou post-modernité depuis une quarantaine d'années) est fondamentalement catagogique, elle n'élève pas mais tire vers le bas, elle massifie, elle rend ridicule. Elle s'illustre dans l'homme cannabinoïdé (au propre ou au figuré) à prothèses technologiques qui pousse un caddie dans les allées des non-lieux de le (post-)modernité, après une semaine de travail dans un "open-space"...Elle ne répond à rien, détruit, ne construit pas dans la mesure où elle ne suit (ou n'est guidée par) aucun plan supérieur, transcendant lié à une méta-histoire. L'homme moderne ou post-moderne s'illustre aussi à merveille à travers trois figures parmi d'autres : celle du "fan,", du militant politique, ou du "supporter" d'équipe sportive, trois comportements, trois façons qui s'offrent à lui d'être un parfait imbécile qui se noie dans la matière, dans ce que l'on appelle, in fine le "quotidien". Mais on pourra toujours voir, avec un peu d'effort, dans ces trois cas de figures des comportements mythiques dans une existence moderne...une volonté de sortir du temps profane de la modernité pour entrer dans un temps mythique...

 Il faut, bien sûr, ne pas confondre cette critique de la modernité -puisqu'elle est antipolitique et n'est pas uniquement "nostalgique" d'un temps historique révolu- avec les pathétiques "petites réactions" bourgeoises qu'on retrouve ici et là de nos jours en France par exemple : celles des faiseurs d'opinions à la  Finkielkraut, Zemmour ou encore celles des vulgaires "revanchards" lepenistes,et autres épiciers du "mécontentement plébéien" qui appartiennent toutes à la modernité. C'est peu de le dire... Cette critique n'est pas, systématiquement, non plus une critique du "progrès". Elle existe aussi (ou surtout) pour pointer du doigt les scories du "progrès". Disons qu'elle est bien plus une critique du "développement" que du "progrès".

En outre, cette critique peut fort bien être autant chrétienne, musulmane, bouddhiste, hindouiste (l'hindouisme est numériquement le plus grand paganisme) que "païenne"(1)  (mais faut-il accorder crédit aux montages païens post-modernes?) ou a-religieuse si on en reste strictement aux quelques remarques du présent billet. La véritable pensée traditionnelle qui s'oppose donc à la pensée moderne est une et multiple. Elle prend de nombreuses formes mais est fondamentalement unique. Elle s'adapte ou s'est adaptée à des contextes historiques ou des structures mentales particulières à un moment donné. Nulle question ici de retour du même, d'indifférenciation donc. Au contraire, c'est bien la différence entre moi et l'autre qui permet l'existence de pensées traditionnelles. Autrement dit, nous sommes très éloignés ici des grands projets unificateurs de la post-modernité, telle l'idéologie mondialiste.

(1) au-delà de l'hindouisme, les formes de paganismes vivants présents à la surface de la terre sont trop nombreux pour être citées ici.















mardi 8 octobre 2013

Krzysztof Penderecki récupéré par le cinéma fantastique

                              
Canon pour orchestre à cordes et bande magnétique, 1962

 Pièce utilisée pour le film "L'exorciste " avec Polymorphia ci-dessous


De natura sonoris n° 2 


Polymorphia 


Le rêve de Jacob

Trois compositions utilisées pour le film "Shining"

Krzysztof Penderecki (1933- )
Il composera de la musique atonale, sérielle, puis effectuera un retour à la tonalité classique ensuite

vendredi 4 octobre 2013

Tony MacAlpine - Tears of Sahara 1987

                                     Enregistrement studio du même titre dans la section vidéo

mercredi 2 octobre 2013

Proposition de transcription orale de textes en langue proto-indo-européenne (v. 4500-2500 av. J.-C.)


"Le mouton et les chevaux" 
 "Un mouton qui n'avait pas de laine vit des chevaux, l'un d'entre eux tirant un chariot, l'autre portant une grosse charge, l'autre portant un homme et allant plus vite. Le mouton dit aux chevaux : 'Mon coeur souffre de voir un homme dirigeant des chevaux.'  Les chevaux dirent : 'Écoute, mouton, notre coeur souffre quand nous voyons ceci: un homme, le maître, prend la laine du mouton pour en faire un vêtement. Et le mouton n'a plus de laine. Ayant écouté cela, le mouton partit dans la plaine."

 La fable construite par le linguiste August Schleicher au XIXe s. qui tente de récréer un possible langage proto-indo-européen (P.I.E.) ou indo-européen commun. En s'appuyant sur les découvertes récentes sur le P.I.E, Andrew Byrd linguiste (Université du Kentucky) récite cette fable que l'on entend sur l'enregistrement. 
  

La version originelle de cette fable écrite par Schleicher. A comparer avec la version la plus récente (cf. supra) : 
 Avis akvāsas ka Avis, jasmin varnā na ā ast, dadarka akvams, tam, vāgham garum vaghantam, tam, bhāram magham, tam, manum āku bharantam. Avis akvabhjams ā vavakat: kard aghnutai mai vidanti manum akvams agantam. Akvāsas ā vavakant: krudhi avai, kard aghnutai vividvant-svas: manus patis varnām avisāms karnauti svabhjam gharmam vastram avibhjams ka varnā na asti. Tat kukruvants avis agram ā bhugat.

 Un autre texte récité par le même Byrd. Basé sur un passage du Rig-Veda ou livre des hymnes, un des quatre grands textes sacrés de l'hindouisme (le plus important). Cantiques rédigés en sanscrit védique : H3rḗḱs dei̯u̯ós-kwe H3rḗḱs h1est; só n̥putlós. H3rḗḱs súhxnum u̯l̥nh1to. Tósi̯o ǵʰéu̯torm̥ prēḱst: "Súhxnus moi̯ ǵn̥h1i̯etōd!" Ǵʰéu̯tōr tom h3rḗǵm̥ u̯eu̯ked: "h1i̯áǵesu̯o dei̯u̯óm U̯érunom". Úpo h3rḗḱs dei̯u̯óm U̯érunom sesole nú dei̯u̯óm h1i̯aǵeto. "ḱludʰí moi, pter U̯erune!" Dei̯u̯ós U̯érunos diu̯és km̥tá gʷah2t. "Kʷíd u̯ēlh1si?" "Súhxnum u̯ēlh1mi." "Tód h1estu", u̯éu̯ked leu̯kós dei̯u̯ós U̯érunos. Nu h3réḱs pótnih2 súhxnum ǵeǵonh1e. 


"The King and the God"
"Once there was a king. He was childless. The king wanted a son. He asked his priest: "May a son be born to me!" The priest said to the king: "Pray to the god Werunos." The king approached the god Werunos to pray now to the god. "Hear me, father Werunos!" The god Werunos came down from heaven. "What do you want?" "I want a son." "Let this be so," said the bright god Werunos. The king's lady bore a son."


Source : Archaeology Telling tales in Proto-Indo-European



L'étude des peuples indo-européens a fait l'objet de tellement de funestes récupérations politiques qu'il est presque devenu "suspect" aux yeux de certains idéologues de s'intéresser à ce thème. Évidemment (et encore une fois), nous nous moquons bien de savoir ce que peuvent penser les intégristes de tous bords,  au sujet d'une personne s’intéressant (en tant que chercheur qualifié, passionné, dilettante ou en simple curieux)  à ce vaste sujet qui amène à se pencher autant sur la linguistique, que  l'archéologie ou encore l'anthropologie. Et encore une fois on se demande bien en quoi le fait de s"intéresser à ses racines (très) lointaines serait systématiquement une marque de mépris ou de rejet envers d'autres "racines" différentes des siennes. Mais passons. Faisons donc le pari de l'intelligence du lecteur...
  
J'en finirai avec ces remarques liminaires en reprenant cette phrase dite par une professeur d'histoire : "Dieu seul sait d'où nous venons et encore il doit bien s'y perdre dans tout ça". Le "ça" fait évidemment référence aux migrations, invasions, colonisations, métissages avec des peuples non Indo-européens (rencontre avec les peuples mégalithiques en Europe ou avec les mélanésiens en Inde par exemple) que les peuples indo-européens dans leur totalité ont subi ou accompli au fil des millénaires et à la difficulté de pouvoir connaître ses origines exactes en tant que peuple et encore plus en tant que personne (a). Les travaux en génétique confirment évidemment cette intuition. Autrement dit, les thèses racialistes se servant des études indo-européennes pour mettre en évidence l’existence d'un type anthropologique indo-européen "supérieur et pur" sont nulles et avenues. 

 Or donc, on ne peut guère évoquer le sujet des études indo-européennes sans bien sûr rappeler l'apport fondamental du comparatiste, philologue, mythologue Georges Dumezil dans la compréhension du mode d'organisation, de fonctionnement des sociétés indo-européennes. Dumézil a en effet montré que l'organisation tripartite des sociétés indo-européennes était la traduction de  la structure des mythes de ces mêmes peuples. De surcroît, on sait grâce à Georges Duby que les sociétés médiévales européennes, d'Ancien régime plus généralement, ont hérité de cette organisation trifonctionnelle. Enfin, on aurait donc du mal à se passer de l'apport des études indo-européennes pour comprendre l'histoire des sociétés européennes jusqu'à la révolution française qui marque véritablement la dispartion de ce type d’organisation sociétale.

Concernant le P.I.E.
Il n'existe aucune trace écrite en langue indo-européenne commune (ou P.I.E.). De fait, les retranscriptions présentées ci-dessus se basent sur l'ensemble des travaux en linguistique comparée mais aussi l'archéologie et donc sur différentes hypothèses et spéculations de chercheurs depuis le XIXe s. Pour resituer l'origine de cette quête de recherche d'une langue à partir de laquelle seraient issues des "langues filles", on peut remonter aux XVIe s. et XVIIe s. avec les premières hypothèses émises quant à l'existence d'une langue mère génitrice de nombre de langues eurasiatiques.  Mais cette reconstitution du P.I.E. reste partielle.

En ce qui concerne, le foyer primitif ou aire de répartition originelle des Indo-Européens, plusieurs hypothèses ont été émises :
1) "L'hypothèse Kourgane" (culture de Samara) proposée par Marija Gimbutas  (citée par Eliade dans son dictionnaire des religions) qui situe les Indo-Européens non différenciés dans la steppe Pontique (nord de la mer Noire) avant le début des migrations/invasions guerrières initiées à partir de 4000 av. J-C. Dispersion dans trois directions majeures : L'Inde, l'Europe occidentale et l'Anatolie.
 C'est l'hypothèse couramment acceptée.


Foyer originel (culture de Samara) en violet et expansion des Indo-européens primitifs selon l'hypothèse kourgane 



2) "L'hypothèse anatolienne" : le foyer originel serait la Turquie. La diffusion Indo-Européens (et du P.I.E./langues) aurait débuté vers 8000 av. J-C sur un mode plus pacifique que selon l'hypothèse précédente et cela en même temps que l'agriculture (Colin Renfrew).

Récemment des biologistes (!) ont tenté d’évaluer quelle hypothèse serait la plus plausible. Les résultats sont en faveur de l'hypothèse anatolienne.
 Nature-A turkish origin for indo-european languages
http://language.cs.auckland.ac.nz/

Utilisation de la méthode de "Monte-Carlo par chaînes de Markov", incompréhensible pour le commun des mortels (dont l’auteur du présent article évidemment) pour bâtir cette hypothèse. On peut, au moins, considérer que la méthode qui consiste à s'inspirer des théories de la biologie évolutive pour comprendre l'évolution des langues est contestable. L'analogie entre un gène  (ou un virus) et une langue étant "douteuse".

 
Animation relative à cette théorie


 3) "L'hypothèse balkanique" voir ici : Origine des Indo-Européens dans le sud-est européen
 


IndoEuropeanTree
                                  Classification des langues indo-européennes en l'état actuel des connaissances
  



(a) on ne parle évidemment pas ici de la "simple" recherche généalogique qui ne peut guère nous permettre dans le meilleur des cas que de retrouver une filiation depuis la fin du XVIe s., exception faite du cas de personnes issues de certains milieux sociaux/castes.

lundi 23 septembre 2013

Le paysan roumain, homme religieux




"Tu viens et tu nous dis: vous êtes les derniers paysans en Europe/au monde, vous devez disparaître. Moi, je te dis: pourquoi ne serait-ce pas toi le dernier con au monde et que ce serait à toi et non à moi de disparaître ?" (traduction libre, vidéo)


Le paysan (pas l'agriculteur moderne areligieux (1) et "destructeur") roumain (2), homme religieux, en solidarité mystique avec les rythmes cosmiques, croit au Christ Pantocrator qui descend sur terre (3) pour rendre visite aux paysans. Une croyance qui renvoie à un christianisme cosmique (christianisme populaire) et dominée par la nostalgie d'une nature sanctifiée par la présence de Jésus-Christ. Le paysan est "homme véritable" car il se conforme à l'enseignement des mythes (mythos, c'est la parole vraie), à des modèles exemplaires venant de ses ou de son dieu. Il est, à la fois, allié et auxiliaire de Dieu car c'est un créateur. En effet, en prenant possession d'un lieu, il transforme le chaos en cosmos. Il participe à l'instauration d'un ordre cosmique. Il faut donc bannir l'idée selon laquelle l'homo religiosus fuirait l'histoire en cherchant un refuge dans le sacré, le "religieux mythique". Au contraire, il s'y implique pleinement en combattant, sans cesse, par la ritualisation, notamment, des "forces" du chaos qui peuvent condamner son monde. Tout cela suppose que pour le paysan-religieux, le temps et l'espace sont forcément hétérogènes. Pour lui, il existe donc un Temps sacré, mythique et réversible d'une part et un temps profane, ordinaire, historique et irréversible d'autre part. L'homme religieux fait aussi l'expérience et a conscience de l'existence  d'espaces de "qualités" différentes, autrement dit d'un espace fait de ruptures : l'espace sacré et réel et l'espace profane, irréel, "amorphe" et chaotique, quotidien, où l'homme subit des "obligations". Le paysan cherche à retrouver ou réintégrer l'aurore cosmogonique, c'est-à-dire qu'il réactualise un événement s'étant déroulé in illo tempore en construisant sa maison par exemple. Celle-ci est conforme à un prototype céleste ou cosmique. L'espace profane qui n'était que chaos devient, par incidence, un espace sacré et centre du monde. L'homme religieux crée ainsi son propre monde et en veillant à la survie de celui-ci, il assure la sienne. 

Que l'on compare simplement le rôle assigné à une habitation moderne selon le furieux techniciste Le Corbusier et son '"habitat fonctionnel" et concentrationnaire (4) ou selon n''importe quel architecte-urbaniste qui doit obligatoirement satisfaire à la "nécessité capitaliste" moderne, avec celui dédié à une demeure selon l'homo religiosus et on comprendra ce qui différencie une existence moderne d'une existence traditionnelle

Or donc, à travers ces croyances et surtout cette Weltanschauung ou vision du monde, on peut identifier une révolte passive du paysan donc de l'homme religieux  contre les agressions de l'histoire, les guerres, les invasions (5) les dominations imposées par différents "maîtres". L'histoire -le temps irréversible- est la plus grande menace pour l'homme religieux dont les derniers paysans roumains authentiques présentent, encore de nos jours, quelques unes de ses qualités. En s'inscrivant dans une perspective cosmique, les sociétés paysannes ou agricoles traditionnelles d'Europe centrale et orientale (pacifiques la plupart du temps) se révoltent (ou se révoltaient...) alors contre une histoire tragique et injuste... Elles luttent contre le temps historique destructeur et cherchent à contrer son irreversibilité.

______________________

(1) Même si l'homme fondamentalement a-religieux, donc moderne ou post-moderne est rare, peut-être introuvable, il se différencie de "l'homme religieux authentique conscient" de part son absence de solidarité avec la nature et le cosmos. 

Plus l'homme est religieux, plus il a de modèles exemplaires inspirés des dieux, moins il l'est, moins il possède de ces modèles, plus la place du "profane" est grande et plus ses activités deviennent "aberrantes" puisque ces dernières ne correspondent à aucun modèle transhumain. Le passage d'une vision traditionnelle ou archaïque du monde à une vision  moderne désacralisée est donc une effroyable dégradation du sens de l'existence humaine...

En outre, qu'on ne confonde surtout pas le moderne (agriculteur ou non) installé à la "campagne" (on ne discutera pas du terme employé) qui vit dans un monde désacralisé avec le paysan des dernières communautés agro-pastorales traditionnelles est-européennes...

(2) Ce n'est évidemment plus le type dominant, même en Roumanie et en Europe centrale et orientale plus généralement.

(3) Il s'agit là de la hiérophanie suprême, le dieu qui se fait homme et s’incarne de fait dans l'histoire. Se référer à (toute) l’œuvre d'Eliade : "Aspects du mythe", "Le sacré et le profane", "La nostalgie des origines", "Le mythe de l'éternel retour", "Mythes, rêves et mystères", etc.

(4) les "utopies" actuelles, certes moins ambitieuses mais tout aussi "involuées",  telles la "ville durable"/normes HQE, etc. appartiennent au même "inconscient moderniste" anti-traditionnaliste.

(5)  à ce propos les pays roumains, de par leur position au sein de l'espace eurasiatique, ont constamment eu à subir les agressions des différents empires voisins (ottoman, russe, austro-hongrois puis soviétique) mais aussi celles des mouvements migratoires de différents peuples  (Mongols, Slaves, Tatars...) et aujourd'hui celles de l'impérialisme occidentiste (capitalisme-démocratie-communisme) ou occidentaliste/atlantiste (euro-étasunien).

vendredi 20 septembre 2013

Jason Becker, néo-classique metal et experimental

 "Primal", Album Perspective, 1995

 Premier album au monde ayant été enregistré par un musicien atteint de la maladie de Charcot

 


Autres pièces :
Album Perpetual  burn, 1988

samedi 14 septembre 2013

Pier Paolo Pasolini


Pasolini, marxiste critique à l'égard du "développement", "chrétien primitif" (et pagano-chrétien), contre l'hédonisme, le permissif, le consumérisme qui relèvent du conformisme petit-bourgeois (encore aujourd'hui, le succès de Michel Onfray en France dans certains milieux illustre bien ce constat), contre cette extrême-gauche des années 60 et la stupidité de ses thèses ("politique de la table rase"), mais aussi rejet de l’Église instituée et de ses clercs qui préférèrent s'assoir à la table des "dominants", de la droite capitaliste-fascisante italienne. Une Église progressivement éjectée du jeu politique puisque devenue "inutile". Pasolini met en avant l'idée que l’Église catholique romaine ne joue plus aucun rôle dans l’oppression des peuples occidentaux (et dans celle de la femme, de fait) et que la plus terrible des aliénations est celle de la soumission au "spectaculaire marchand". En outre, l’Église doit donc en finir avec ses trahisons à l'égard du message du Christ et de son peuple et devenir  le fer de lance des révoltes populaires à venir.

Pasolini écrira dans une série d'articles que l'on retrouve dans "Écrits corsaires" (cf. infra) que la société de consommation, "l’hédonisme de masse" (c'est son expression) et ce néo-capitalisme qui émergent dans les années 60 et 70 ont réussi à créer un type anthropologique d'un genre totalement nouveau et la "réduction [des Italiens et de tous les 'occidentaux'] à un modèle unique", "Frustration ou carrément désir névrotique sont désormais des états d'âme collectifs". 

Cependant, derrière l'expression "société de consommation", Pasolini ne semble guère vouloir distinguer la consommation qui permit aux plus modestes d’accéder à des produits d'équipements qui ont pu améliorer leur vie, de cette "consommation ludique, marginale  et libidinale". Là, il faut lire Michel Clouscard qui conteste cette appellation générique car selon lui, il n'a jamais existé une telle société dans le monde occidental. Si tel était le cas nous serions dans une société d'abondance (société communiste aboutie donc). 

 Des imbéciles ont voulu voir en Pasolini un "rouge-brun". Incompréhension face à la complexité du personnage et de son discours de la part du "vulgaire" et des idéologues qu'ils soient de droite ou de gauche (extrêmes inclus) à cause de la binarité de leur mode de raisonner, de leur "hémiplégie morale".


Pasolini  est assassiné à proximité de la plage d'Ostie (Rome), dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975.

Un an avant sa mort, dans un éditorial du "Corriere della sera"  du 14 novembre 1974, Pasolini menaçait, de fait, en affirmant  : "Je sais les noms des responsables de ce que l'on appelle golpe (qui est en réalité une série de golpes (...)). Je sais les noms qui composent le 'sommet' qui a manœuvré aussi bien les vieux fascistes créateurs de golpes que les néofascistes, auteurs matériels des premiers massacres et que, enfin, les inconnus responsables des massacres les plus récents..." Dans son roman "petrole", il souhaitait dénoncer la violence et les crimes d’État, des industriels et du pouvoir économique italiens.

"On l'a exécuté a affirmé il y a quelques années Pino son assassin présumé. Ils étaient cinq. Ils lui criaient : "Sale pédé, sale communiste ! " et ils le tabassaient dur. Moi, ils m'avaient immobilisé. Je ne l'ai même pas touché, Pasolini, j'ai même essayé de le défendre..." Pour Pino, il y a cinq agresseurs : " les frères Borsellino, deux Siciliens fascistes et dealers""ils exécutaient une commande. Ils voulaient lui donner une leçon et ils se sont laissés aller. C'est que Pasolini cassait les pieds à quelqu'un" La Loge P2 ?

(voir ici pour les révélations de Pino)
                                                         

Je suis une force du Passé.
À la tradition seule va mon amour
Je viens des ruines, des églises,
des rétables, des bourgs
abandonnés sur les Appennins ou les Préalpes,
là où ont vécu mes frères.
J'erre sur la Tuscolane comme un fou,
sur l'Appienne comme un chien sans maître.
Ou je regarde les crépuscules, les matins
sur Rome, la Ciociaria, l'univers,
tels les premiers actes de l'Après-Histoire
auxquels j'assiste, par privilège d'état-civil,
du bord extrême d'un âge
enseveli. Monstrueux est l'homme né
des entrailles d'une femme morte.
Et moi, foetus adulte, plus moderne
que tous les modernes, je rôde
en quête de frères qui ne sont plus 

Poesia in forma di rosa, Garzanti, Milano 1964 
                                                                                  (1922-1975)


   
"L'Italie est un pays qui devient de plus en plus stupide et ignorant. On y cultive des rhétoriques toujours de plus en plus insupportables. Il n'y a pas de pire conformisme que celui de gauche, surtout, naturellement, quand c'est adopté par la droite."

Sur 68, "révolte" de sinistres enfants de bourgeois, de narcisses nietzcheo-debordiens et autres vaniteux jouisseurs marcusiens dont l'unique but a été de prendre le pouvoir culturel puis politique. Une bourgeoisie en a chassé une autre :
"J'ai passé ma vie à haïr les vieux bourgeois moralistes, il est donc normal que je doive haïr leurs enfants, aussi… La bourgeoisie met les barricades contre elle-même, les enfants à papa se révoltent contre leurs papas. La moitié des étudiants ne fait plus la Révolution mais la guerre civile. Ils sont des bourgeois tout comme leurs parents, ils ont un sens légalitaire de la vie, ils sont profondément conformistes. Pour nous, nés avec l'idée de la Révolution, il serait digne de rester fidèles à cet idéal."

Sur le fascisme, l’antifascisme et la "société de consommation"
(article Acculturation et acculturation, 9 décembre 1973)  :
"Une bonne partie de l'antifascisme d'aujourd'hui, ou du moins ce qu'on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. C'est en sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la société de consommation.

"Le fascisme, je tiens à le répéter, n'a pas même au fond été capable d’égratigner l'âme du peuple italien, tandis que le nouveau fascisme, grâce aux nouveaux moyens de communication et d'information (surtout justement la télévision), l'a non seulement égratignée, mais encore lacérée, violée, souillée à jamais."

"Le centralisme fasciste n’a jamais réussi à faire ce qu’a fait le centralisme de la société de consommation [...] Le fascisme proposait un modèle, réactionnaire et monumental, qui est toutefois resté lettre morte. Les différentes cultures particulières (paysanne, prolétaire, ouvrière) ont continué à se conformer à leurs propres modèles antiques : la répression se limitait à obtenir des paysans, des prolétaires ou des ouvriers leur adhésion verbale. Aujourd’hui, en revanche, l’adhésion aux modèles imposés par le Centre est totale et sans conditions. Les modèles culturels réels sont reniés. L’abjuration est accomplie."

"On peut donc affirmer que la « tolérance » de l’idéologie hédoniste, défendue par le nouveau pouvoir, est la plus terrible des répressions de l’histoire humaine. Comment a-t-on pu exercer pareille répression ? A partir de deux révolutions, à l’intérieur de l’organisation bourgeoise : la révolution des infrastructures et la révolution du système des informations. Les routes, la motorisation, etc. ont désormais uni étroitement la périphérie au Centre en abolissant toute distance matérielle. Mais la révolution du système des informations a été plus radicale encore et décisive. Via la télévision, le Centre a assimilé, sur son modèle, le pays entier, ce pays qui était si contrasté et riche de cultures originales. Une œuvre d’homologation, destructrice de toute authenticité, a commencé. Le Centre a imposé - comme je disais - ses modèles : ces modèles sont ceux voulus par la nouvelle industrialisation, qui ne se contente plus de « l’homme-consommateur », mais qui prétend que les idéologies différentes de l’idéologie hédoniste de la consommation ne sont plus concevables. Un hédonisme néo-laïc, aveugle et oublieux de toutes les valeurs humanistes, aveugle et étranger aux sciences humaines."

 ...
 
"Un personnage comme Mussolini serait inconcevable aujourd'hui, du fait de l’irrationalité et de la nullité de ce qu'il dit et parce qu'il n'y aurait aucune place ni crédibilité pour lui dans le monde moderne. La télévision suffirait à le rendre vain, à le détruire politiquement. (...) Ses techniques convenaient pour un chef sur une estrade devant une foule, mais elles ne marcheraient absolument pas devant un écran." Changement total dans notre façon d'être et de communiquer.

Autre passage sur le néo-fascisme, tel que Pasolini le conçoit : la société de consommation. 

"Le fascisme avait fait de ces foules, des guignols, des serviteurs, peut-être partiellement convaincus mais il ne les avait pas atteint dans le fond de l'âme. En revanche, le nouveau fascisme, la société de consommation a profondément transformé les jeunes, elle les a touchés dans ce qu'ils ont de plus intime, elle leur a donné d'autres sentiments, d'autres façons de penser, de vivre, d'autres modèles culturels. Il ne s'agit plus comme à l'époque Mussolinienne, d'un enrégimentement superficiel mais réel qui a volé et changé leur âme Ce qui signifie en définitive que cette civilisation de consommation est une civilisation dictatoriale. En somme, si le mot fascisme signifie violence du pouvoir, la société de consommation a bien réalisé le fascisme. Les démocrates chrétiens sont devenus les véritables fascistes.Colères focalisées sur les fascistes archéologiques alors que les véritables fascistes sont au pouvoir."

Source : Extraits, "Écrits corsaires", 1973-1974, recueil publié en 1975 (1ère édition)





 


Pasolini - Évangile selon saint Matthieu



                                                 
                                                        31 octobre 1975, dernier entretien


                                            
                                                            Pasolini, prophétique...