La création de l'Etat de Bosnie et Herzégovine suite
aux accords de Dayton de 1995 (en réalité signés à Paris) devant mettre un
terme à la guerre de Bosnie qui débute en 1992 émane de la stratégie de
"nation building". Depuis cette date, même si ce presqu'Etat possède
des institutions politiques, il est sous le contrôle d'un Haut Représentant
internationale en Bosnie-Herzégovine, autrement dit sous la
"protection" d'un représentant du BAO. Depuis 2009, c'est un
autrichien Valentin Inzko, envoyé de Bruxelles, assisté de l’ambassadeur
étatsunien néo-conservateur David M. Robinson qui occupe cette fonction. L'ensemble de la Bosnie est dans une situation
socio-économique calamiteuse à peu près identique à celle de l'Albanie ou de la
Moldavie.
Ce pays est divisée en deux espaces, l'un à dominante culturelle musulmane, l'autre serbe
orthodoxe, la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (Fédération croato-musulmane)
qui a pour capitale Sarajevo et la République serbe de Bosnie dont la capitale
est Banja Luka. La première se trouve face à une crise économique mais aussi
démographique très grave. Les Musulmans (on parle ici de nationalité pour
désigner ce qui correspond essentiellement aux descendants de Slaves convertis
depuis l'occupation ottomane et qui ont obtenu une reconnaissance de
nationalité sous Tito) fuient la région en espérant trouver de meilleures
conditions de vie en Europe occidentale. Les pays de destination de ces
migrants sont principalement l'Allemagne et l'Autriche. La partie serbe est,
quant à elle, bien plus viable économiquement et stable politiquement que le
territoire peuplé de Musulmans. Ainsi est-elle la cible permanente des
opérations de subversions émanant des Etatsuniens et de leurs vassaux. Il n'est
pas inopportun de dire ici que les islamistes radicaux ont le champ libre dans
cette zone. On trouve ici comme ailleurs dans les Balkans des "centres
culturels", à Gornja Maoca, Ošve ou Dubnica depuis l'année 2012, qui sont
autant de centres d'entrainement pour jihadistes crées et commandés par un
certain Nusret Imamović. Le site du département d'Etat étasunien identifie ce
personnage de cette façon : "Nusret
Imamovic is a Bosnian terrorist leader operating in Syria. After his arrival, Imamovic actively supported violent extremism, and is
now believed to be fighting with al-Nusrah Front"[1].
Après être passé par Al-Qaida puis par le Front al-Nosra, Imamović comme
l'indique la note du département d'Etat, a rejoint l'EIIL en entrainant avec
lui les jihadistes de Bosnie. "Imamovic, who is named on a US State
Department terrorist list, is believed to be the third-in-command of Al-Qaeda's
Syria affiliate Al-Nusra Front"[2]. Husein Bosnic, un ancien membre
d'une unité de moudjahidines dans la guerre de Bosnie, a remplacé Nusret
Imamovic après que le départ de celui-ci pour la Syrie à la fin de l'année
2013, selon une source du département
d'Etat américain.
Si la plupart des Bosniaques de confession musulmane ne semblent pas devoir
adhérer à l'idéologie sunnite-salafiste importée en Bosnie dans les années 90,
plusieurs centaines d'éléments naviguant entre le Moyen-Orient et les Balkans
sont prêts à mener un nouveau combat en Bosnie mais aussi dans toute l'Europe.
C'est à Zagreb en Croatie qu'est lancé l'appel au Jihad de 1992. La
"guerre sainte" des moudjahidines sera, entre autres, financée par
des ONG islamistes séoudiennes. Des groupes djihadistes, comme les "Forces
musulmanes" d'Abu Abdoul Aziz, réunissent d'anciens combattants arabes de
la première guerre d'Afghanistan (1979-1989) et viendront en soutien à l'armée
bosniaque. A la fin de la guerre, ils partiront rejoindre les rangs des
rebelles en Tchétchénie (Avioutskii, 2005 : p. 228-229).
Or donc, en 2016 on peut identifier deux groupes
principaux parmi ces djihadistes. Le premier est composé d'anciens combattants
de la guerre de Bosnie (1992-1995) affiliés à Al-Qaida venus de cet immense
espace que les Etatsuniens ont nommé "Grand Moyen-Orient". Il faut
rappeler que durant la guerre de Bosnie, Oussama Ben Laden était un conseiller
d'Alija Izetbegović, protégé du démocrate étasunien Richard Perle. Ce dernier,
proche de G. W. Bush, fut collaborateur de Ronald Reagan mais également membre
du groupe Bidelberg, membre collaborateur du PNAC et, parmi d'autres fonctions,
administrateur du Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA)...
L'autre groupe est composé principalement de jeunes, récemment convertis au
salafisme. Depuis 2011, les actions de Bosniaques salafisés se multiplient. A
titre d'exemple, en 2015, dans la ville de Zvornik, Nerdin Ibric, un islamiste
a ouvert le feu sur des policiers.
Le BAO a d'autant plus intérêt à entretenir
l'existence de ces centres de formation pour terroristes que le président
actuel de la République serbe, Milorad Dodik, entretient de bonnes relations
avec le Russie de Vladimir Poutine. Les événements de 2014 qualifiés de
"Printemps bosniaque" - selon la formule générique appliquée à tous
les cas de déstabilisation des territoires suscitant l'intérêt du BAO - qui ont
touché l'entité musulmane devaient par ricochet générer des troubles dans la
Bosnie majoritairement Serbe. L'ambassadeur de Palestine en Bosnie a,
d'ailleurs - dans la grande lignée des analogies douteuses directement issues
de la grande fabrique du consentement "occidentiste" anti-serbe -, comparé
la situation de la Bosnie musulmane à celle de Srebenica, lieu du
"génocide" (selon la qualification du TPYI) des Bosniaques qui aurait
été perpétré par l'armée de la République serbe de Bosnie conduite par le
général Ratko Mladić et l'organisation paramilitaire serbe Scorpions née
lorsque la République serbe de Krajina fait sécession avec la Croatie. Une
qualification de génocide que Rony Brauman, au passage, rejette. Dans un
entretien accordé au magazine Témoignage chrétien en 2008, il affirme : "Les faits sont
pourtant clairs et acceptés par tous, mais on a appelé ça un génocide.
Srebrenica a été le massacre des hommes en âge de porter des armes. C'est un
crime contre l'humanité indiscutable, mais on a laissé partir des femmes, des
enfants, des vieillards, des gens qui n'étaient pas considérés comme des
menaces potentielles. (...) Que
l'on en ait fait un génocide montre bien que tous les massacres d'une certaine
envergure ayant fait l'objet d'une certaine préparation entrent dans cette
qualification. C'est une notion qui a perdu en profondeur tout ce qu'elle a
gagné en surface. (...) Je trouve frappant cette obsession de débusquer des génocides, comme
pour en être le combattant résolu. C'est vrai que Kouchner a vu un génocide au
Biafra, au Kurdistan, en Bosnie, au Kosovo, en Irak, au Soudan... Je crois que
cette notion de génocide est mobilisée parce qu'elle absolutise la situation.
Elle dépasse les complexités d'une guerre avec ses compromis, ses enjeux, pour
sortir du terrain de la politique et se mettre sur celui de la morale. (...)
Une fois qu'on a prononcé ce mot pour
qualifier une situation, toute discussion devient un atermoiement scandaleux,
toute prise de distance devient une espèce d'indifférence criminelle"[3].
Or donc, depuis que Washington a placé Alija Izetbegović à la tête de la Bosnie-Herzégovine
au début des années 90, peu de choses semblent avoir changé sur ce point : les
Serbes sont toujours les potentiels bourreaux des Musulmans, des musulmans en
Bosnie et de ceux vivant dans la totalité de l'espace ex-yougoslave...Si une
nouvelle guerre en Bosnie n'éclate pas dans les mois ou années à venir, au
moins, à considérer l'ensemble de la situation dans les deux entités, l'Etat
Bosniaque fera-t-il sans doute l'objet d'une réorganisation territoriale et
politique décidée par l'Union européenne ou Washington.
Tous les ingrédients sont réunis pour une
nouvelle implosion des Balkans qui mènerait à terme soit au retour du Kosovo et
de la Republika Srpska à la Serbie, soit à l'annexion par l'Albanie du Kosovo,
d'une partie de la Macédoine (ce qui
équivaudrait à la disparition de cet Etat) concrétisant pratiquement le rêve
panalbanais. Cette dislocation de l'espace géopolitique balkanique permettrait
l'"indépendance" de la Voïvodine (ou sa partition), entrainerait la
disparition de la Macédoine, et l'agrandissement de la Bulgarie. Selon Leonid
Petrovitch Rechetnikov, ancien Lieutenant-Général retiré de la direction du SVR
(service de renseignement extérieur russe), la Serbie, la Republika Srpska et
le Kosovo sont au centre d'une épreuve de force entre les Etats-Unis d'Amérique
et la Russie. Il ne faut pas oublier que le gouvernement serbe présente,
aujourd'hui en 2016, des éléments
pro-étasuniens et que les Russes mettent en garde la Serbie sur une possible
entrée du pays dans l'OTAN. La Russie conseille, de fait, aux Serbes de mettre
rapidement à distance ces politiciens serbes qui souhaitent approfondir la
collaboration avec Washington.
[1] "Designations
of Foreign Terrorist Fighters", Media
Note, Office of the Spokesperson, Washington, DC,http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2014/09/232067.htm,
en ligne le 24/09/2014, consulté le 16/02/2016
[2] "Once magnet for
foreign 'mujahideen', Bosnia now exports them", AFP, http://www.globalpost.com/article/6532425/2015/04/29/once-magnet-foreign-mujahideen-bosnia-now-exports-them,
en ligne le 29/04/2015, consulté le 16/02/2016
[3] Rony Brauman. "Deux ou trois choses que je
sais du
Mal..."http://temoignagechretien.fr/articles/societe/deux-ou-trois-choses-que-je-sais-du-mal,
en ligne le 17/01/2008, consulté le 16/02/2016
Avioutskii, V. (2005). Géopolitique du Caucase. Editions Armand Colin
(Extrait d'un livre non publié de Jean-Michel Lemonnier)
Voir aussi sur ce BLOGUE :
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/07/les-menaces-interieures-en-russie.html
http://jeanmichel-lemonnier.blogspot.fr/2016/07/les-menaces-interieures-en-russie.html