: Jean-Michel Lemonnier, bloc-notes

lundi 23 septembre 2013

Le paysan roumain, homme religieux




"Tu viens et tu nous dis: vous êtes les derniers paysans en Europe/au monde, vous devez disparaître. Moi, je te dis: pourquoi ne serait-ce pas toi le dernier con au monde et que ce serait à toi et non à moi de disparaître ?" (traduction libre, vidéo)


Le paysan (pas l'agriculteur moderne areligieux (1) et "destructeur") roumain (2), homme religieux, en solidarité mystique avec les rythmes cosmiques, croit au Christ Pantocrator qui descend sur terre (3) pour rendre visite aux paysans. Une croyance qui renvoie à un christianisme cosmique (christianisme populaire) et dominée par la nostalgie d'une nature sanctifiée par la présence de Jésus-Christ. Le paysan est "homme véritable" car il se conforme à l'enseignement des mythes (mythos, c'est la parole vraie), à des modèles exemplaires venant de ses ou de son dieu. Il est, à la fois, allié et auxiliaire de Dieu car c'est un créateur. En effet, en prenant possession d'un lieu, il transforme le chaos en cosmos. Il participe à l'instauration d'un ordre cosmique. Il faut donc bannir l'idée selon laquelle l'homo religiosus fuirait l'histoire en cherchant un refuge dans le sacré, le "religieux mythique". Au contraire, il s'y implique pleinement en combattant, sans cesse, par la ritualisation, notamment, des "forces" du chaos qui peuvent condamner son monde. Tout cela suppose que pour le paysan-religieux, le temps et l'espace sont forcément hétérogènes. Pour lui, il existe donc un Temps sacré, mythique et réversible d'une part et un temps profane, ordinaire, historique et irréversible d'autre part. L'homme religieux fait aussi l'expérience et a conscience de l'existence  d'espaces de "qualités" différentes, autrement dit d'un espace fait de ruptures : l'espace sacré et réel et l'espace profane, irréel, "amorphe" et chaotique, quotidien, où l'homme subit des "obligations". Le paysan cherche à retrouver ou réintégrer l'aurore cosmogonique, c'est-à-dire qu'il réactualise un événement s'étant déroulé in illo tempore en construisant sa maison par exemple. Celle-ci est conforme à un prototype céleste ou cosmique. L'espace profane qui n'était que chaos devient, par incidence, un espace sacré et centre du monde. L'homme religieux crée ainsi son propre monde et en veillant à la survie de celui-ci, il assure la sienne. 

Que l'on compare simplement le rôle assigné à une habitation moderne selon le furieux techniciste Le Corbusier et son '"habitat fonctionnel" et concentrationnaire (4) ou selon n''importe quel architecte-urbaniste qui doit obligatoirement satisfaire à la "nécessité capitaliste" moderne, avec celui dédié à une demeure selon l'homo religiosus et on comprendra ce qui différencie une existence moderne d'une existence traditionnelle

Or donc, à travers ces croyances et surtout cette Weltanschauung ou vision du monde, on peut identifier une révolte passive du paysan donc de l'homme religieux  contre les agressions de l'histoire, les guerres, les invasions (5) les dominations imposées par différents "maîtres". L'histoire -le temps irréversible- est la plus grande menace pour l'homme religieux dont les derniers paysans roumains authentiques présentent, encore de nos jours, quelques unes de ses qualités. En s'inscrivant dans une perspective cosmique, les sociétés paysannes ou agricoles traditionnelles d'Europe centrale et orientale (pacifiques la plupart du temps) se révoltent (ou se révoltaient...) alors contre une histoire tragique et injuste... Elles luttent contre le temps historique destructeur et cherchent à contrer son irreversibilité.

______________________

(1) Même si l'homme fondamentalement a-religieux, donc moderne ou post-moderne est rare, peut-être introuvable, il se différencie de "l'homme religieux authentique conscient" de part son absence de solidarité avec la nature et le cosmos. 

Plus l'homme est religieux, plus il a de modèles exemplaires inspirés des dieux, moins il l'est, moins il possède de ces modèles, plus la place du "profane" est grande et plus ses activités deviennent "aberrantes" puisque ces dernières ne correspondent à aucun modèle transhumain. Le passage d'une vision traditionnelle ou archaïque du monde à une vision  moderne désacralisée est donc une effroyable dégradation du sens de l'existence humaine...

En outre, qu'on ne confonde surtout pas le moderne (agriculteur ou non) installé à la "campagne" (on ne discutera pas du terme employé) qui vit dans un monde désacralisé avec le paysan des dernières communautés agro-pastorales traditionnelles est-européennes...

(2) Ce n'est évidemment plus le type dominant, même en Roumanie et en Europe centrale et orientale plus généralement.

(3) Il s'agit là de la hiérophanie suprême, le dieu qui se fait homme et s’incarne de fait dans l'histoire. Se référer à (toute) l’œuvre d'Eliade : "Aspects du mythe", "Le sacré et le profane", "La nostalgie des origines", "Le mythe de l'éternel retour", "Mythes, rêves et mystères", etc.

(4) les "utopies" actuelles, certes moins ambitieuses mais tout aussi "involuées",  telles la "ville durable"/normes HQE, etc. appartiennent au même "inconscient moderniste" anti-traditionnaliste.

(5)  à ce propos les pays roumains, de par leur position au sein de l'espace eurasiatique, ont constamment eu à subir les agressions des différents empires voisins (ottoman, russe, austro-hongrois puis soviétique) mais aussi celles des mouvements migratoires de différents peuples  (Mongols, Slaves, Tatars...) et aujourd'hui celles de l'impérialisme occidentiste (capitalisme-démocratie-communisme) ou occidentaliste/atlantiste (euro-étasunien).

vendredi 20 septembre 2013

Jason Becker, néo-classique metal et experimental

 "Primal", Album Perspective, 1995

 Premier album au monde ayant été enregistré par un musicien atteint de la maladie de Charcot

 


Autres pièces :
Album Perpetual  burn, 1988

samedi 14 septembre 2013

Pier Paolo Pasolini


Pasolini, marxiste critique à l'égard du "développement", "chrétien primitif" (et pagano-chrétien), contre l'hédonisme, le permissif, le consumérisme qui relèvent du conformisme petit-bourgeois (encore aujourd'hui, le succès de Michel Onfray en France dans certains milieux illustre bien ce constat), contre cette extrême-gauche des années 60 et la stupidité de ses thèses ("politique de la table rase"), mais aussi rejet de l’Église instituée et de ses clercs qui préférèrent s'assoir à la table des "dominants", de la droite capitaliste-fascisante italienne. Une Église progressivement éjectée du jeu politique puisque devenue "inutile". Pasolini met en avant l'idée que l’Église catholique romaine ne joue plus aucun rôle dans l’oppression des peuples occidentaux (et dans celle de la femme, de fait) et que la plus terrible des aliénations est celle de la soumission au "spectaculaire marchand". En outre, l’Église doit donc en finir avec ses trahisons à l'égard du message du Christ et de son peuple et devenir  le fer de lance des révoltes populaires à venir.

Pasolini écrira dans une série d'articles que l'on retrouve dans "Écrits corsaires" (cf. infra) que la société de consommation, "l’hédonisme de masse" (c'est son expression) et ce néo-capitalisme qui émergent dans les années 60 et 70 ont réussi à créer un type anthropologique d'un genre totalement nouveau et la "réduction [des Italiens et de tous les 'occidentaux'] à un modèle unique", "Frustration ou carrément désir névrotique sont désormais des états d'âme collectifs". 

Cependant, derrière l'expression "société de consommation", Pasolini ne semble guère vouloir distinguer la consommation qui permit aux plus modestes d’accéder à des produits d'équipements qui ont pu améliorer leur vie, de cette "consommation ludique, marginale  et libidinale". Là, il faut lire Michel Clouscard qui conteste cette appellation générique car selon lui, il n'a jamais existé une telle société dans le monde occidental. Si tel était le cas nous serions dans une société d'abondance (société communiste aboutie donc). 

 Des imbéciles ont voulu voir en Pasolini un "rouge-brun". Incompréhension face à la complexité du personnage et de son discours de la part du "vulgaire" et des idéologues qu'ils soient de droite ou de gauche (extrêmes inclus) à cause de la binarité de leur mode de raisonner, de leur "hémiplégie morale".


Pasolini  est assassiné à proximité de la plage d'Ostie (Rome), dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975.

Un an avant sa mort, dans un éditorial du "Corriere della sera"  du 14 novembre 1974, Pasolini menaçait, de fait, en affirmant  : "Je sais les noms des responsables de ce que l'on appelle golpe (qui est en réalité une série de golpes (...)). Je sais les noms qui composent le 'sommet' qui a manœuvré aussi bien les vieux fascistes créateurs de golpes que les néofascistes, auteurs matériels des premiers massacres et que, enfin, les inconnus responsables des massacres les plus récents..." Dans son roman "petrole", il souhaitait dénoncer la violence et les crimes d’État, des industriels et du pouvoir économique italiens.

"On l'a exécuté a affirmé il y a quelques années Pino son assassin présumé. Ils étaient cinq. Ils lui criaient : "Sale pédé, sale communiste ! " et ils le tabassaient dur. Moi, ils m'avaient immobilisé. Je ne l'ai même pas touché, Pasolini, j'ai même essayé de le défendre..." Pour Pino, il y a cinq agresseurs : " les frères Borsellino, deux Siciliens fascistes et dealers""ils exécutaient une commande. Ils voulaient lui donner une leçon et ils se sont laissés aller. C'est que Pasolini cassait les pieds à quelqu'un" La Loge P2 ?

(voir ici pour les révélations de Pino)
                                                         

Je suis une force du Passé.
À la tradition seule va mon amour
Je viens des ruines, des églises,
des rétables, des bourgs
abandonnés sur les Appennins ou les Préalpes,
là où ont vécu mes frères.
J'erre sur la Tuscolane comme un fou,
sur l'Appienne comme un chien sans maître.
Ou je regarde les crépuscules, les matins
sur Rome, la Ciociaria, l'univers,
tels les premiers actes de l'Après-Histoire
auxquels j'assiste, par privilège d'état-civil,
du bord extrême d'un âge
enseveli. Monstrueux est l'homme né
des entrailles d'une femme morte.
Et moi, foetus adulte, plus moderne
que tous les modernes, je rôde
en quête de frères qui ne sont plus 

Poesia in forma di rosa, Garzanti, Milano 1964 
                                                                                  (1922-1975)


   
"L'Italie est un pays qui devient de plus en plus stupide et ignorant. On y cultive des rhétoriques toujours de plus en plus insupportables. Il n'y a pas de pire conformisme que celui de gauche, surtout, naturellement, quand c'est adopté par la droite."

Sur 68, "révolte" de sinistres enfants de bourgeois, de narcisses nietzcheo-debordiens et autres vaniteux jouisseurs marcusiens dont l'unique but a été de prendre le pouvoir culturel puis politique. Une bourgeoisie en a chassé une autre :
"J'ai passé ma vie à haïr les vieux bourgeois moralistes, il est donc normal que je doive haïr leurs enfants, aussi… La bourgeoisie met les barricades contre elle-même, les enfants à papa se révoltent contre leurs papas. La moitié des étudiants ne fait plus la Révolution mais la guerre civile. Ils sont des bourgeois tout comme leurs parents, ils ont un sens légalitaire de la vie, ils sont profondément conformistes. Pour nous, nés avec l'idée de la Révolution, il serait digne de rester fidèles à cet idéal."

Sur le fascisme, l’antifascisme et la "société de consommation"
(article Acculturation et acculturation, 9 décembre 1973)  :
"Une bonne partie de l'antifascisme d'aujourd'hui, ou du moins ce qu'on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. C'est en sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la société de consommation.

"Le fascisme, je tiens à le répéter, n'a pas même au fond été capable d’égratigner l'âme du peuple italien, tandis que le nouveau fascisme, grâce aux nouveaux moyens de communication et d'information (surtout justement la télévision), l'a non seulement égratignée, mais encore lacérée, violée, souillée à jamais."

"Le centralisme fasciste n’a jamais réussi à faire ce qu’a fait le centralisme de la société de consommation [...] Le fascisme proposait un modèle, réactionnaire et monumental, qui est toutefois resté lettre morte. Les différentes cultures particulières (paysanne, prolétaire, ouvrière) ont continué à se conformer à leurs propres modèles antiques : la répression se limitait à obtenir des paysans, des prolétaires ou des ouvriers leur adhésion verbale. Aujourd’hui, en revanche, l’adhésion aux modèles imposés par le Centre est totale et sans conditions. Les modèles culturels réels sont reniés. L’abjuration est accomplie."

"On peut donc affirmer que la « tolérance » de l’idéologie hédoniste, défendue par le nouveau pouvoir, est la plus terrible des répressions de l’histoire humaine. Comment a-t-on pu exercer pareille répression ? A partir de deux révolutions, à l’intérieur de l’organisation bourgeoise : la révolution des infrastructures et la révolution du système des informations. Les routes, la motorisation, etc. ont désormais uni étroitement la périphérie au Centre en abolissant toute distance matérielle. Mais la révolution du système des informations a été plus radicale encore et décisive. Via la télévision, le Centre a assimilé, sur son modèle, le pays entier, ce pays qui était si contrasté et riche de cultures originales. Une œuvre d’homologation, destructrice de toute authenticité, a commencé. Le Centre a imposé - comme je disais - ses modèles : ces modèles sont ceux voulus par la nouvelle industrialisation, qui ne se contente plus de « l’homme-consommateur », mais qui prétend que les idéologies différentes de l’idéologie hédoniste de la consommation ne sont plus concevables. Un hédonisme néo-laïc, aveugle et oublieux de toutes les valeurs humanistes, aveugle et étranger aux sciences humaines."

 ...
 
"Un personnage comme Mussolini serait inconcevable aujourd'hui, du fait de l’irrationalité et de la nullité de ce qu'il dit et parce qu'il n'y aurait aucune place ni crédibilité pour lui dans le monde moderne. La télévision suffirait à le rendre vain, à le détruire politiquement. (...) Ses techniques convenaient pour un chef sur une estrade devant une foule, mais elles ne marcheraient absolument pas devant un écran." Changement total dans notre façon d'être et de communiquer.

Autre passage sur le néo-fascisme, tel que Pasolini le conçoit : la société de consommation. 

"Le fascisme avait fait de ces foules, des guignols, des serviteurs, peut-être partiellement convaincus mais il ne les avait pas atteint dans le fond de l'âme. En revanche, le nouveau fascisme, la société de consommation a profondément transformé les jeunes, elle les a touchés dans ce qu'ils ont de plus intime, elle leur a donné d'autres sentiments, d'autres façons de penser, de vivre, d'autres modèles culturels. Il ne s'agit plus comme à l'époque Mussolinienne, d'un enrégimentement superficiel mais réel qui a volé et changé leur âme Ce qui signifie en définitive que cette civilisation de consommation est une civilisation dictatoriale. En somme, si le mot fascisme signifie violence du pouvoir, la société de consommation a bien réalisé le fascisme. Les démocrates chrétiens sont devenus les véritables fascistes.Colères focalisées sur les fascistes archéologiques alors que les véritables fascistes sont au pouvoir."

Source : Extraits, "Écrits corsaires", 1973-1974, recueil publié en 1975 (1ère édition)





 


Pasolini - Évangile selon saint Matthieu



                                                 
                                                        31 octobre 1975, dernier entretien


                                            
                                                            Pasolini, prophétique...

vendredi 13 septembre 2013

Musiques metal et temps du mythe (2)

Pour certains penseurs néo-marxistes (Clouscard), répétition machinale, linéarité sont les caractéristiques de la musique rock, considérant  celle-ci comme la musique du "grand capital". Une musique rock opposée au jazz et son rythme naturel. Le rythme du corps : le swing. "Le rock c'est le jazz sans le swing". Le rythme du rock serait le rythme du capitalisme. Mais aujourd'hui "la marque du rythme, répétitif, saccadé fébrile de la machine" (que Clouscard assignait au rock au début des années 80) sont les caractéristiques propres au rap. Le rythme du rap (mais aussi de la techno) c'est le rythme du capitalisme, n'en déplaise aux "gauches". Mais ce n'est pas uniquement le rythme qui en fait une musique du capital...

La musique rock des années 2000 semble n'avoir plus grand chose à voir, en apparence, avec les formes primitives du  rock 'n' roll des années 50 et 60. C'est faux pour "le rock ou la pop 3 accords" qui inondent les stations de radio FM,  ça l'est beaucoup moins pour ce que l'on peut considérer comme des formes évoluées de rock  tel le heavy metal instrumental (qui naît dans les années 1980 véritablement et ignoré ou inconnu plutôt par ces marxistes) qui nous intéresse particulièrement ici.  Le rythme originel du rock' n roll et ce "retour du même" sont balayés par ces néo-virtuoses de cette forme particulière de rock...ou plutôt de "jazz". Le rock, inspiré par la musique dite "classique", joué comme du jazz : création du hard rock instrumental. De fait, cette forme descendante lointaine du rock n'est plus "récupération" du jazz, temporalité abrutissante mais émancipation. 
Fin de la répétition.

Pourquoi ? Parce que nous allons autrement et autre part en affirmant, que le rock n'est pas uniquement une question d'absence de swing, de "jazz sans son âme" que le rock ou metal instrumental présente ces particularités : rupture avec la linéarité du temps profane ou "déchirure" dans le temps linéaire par définition irréversible et passage dans un temps que faute de mieux on  nommera "parallèle" pour la durée que dure l'écoute d'une composition.  Remonter à l'origine du temps ou d' un événement qui s'est déroulé in illo tempore, chose permise à certains élus pour retrouver un état d'avant la "chute".

Le rythme pathologique de la modernité, l’irréversibilité du temps (le fameux temps linéaire du "progrès") qui est autant celui du  stalinisme, sinon du marxisme, que du capitalisme est défié, combattu sinon vaincu.

 Sur le plan musicologique l'utilisation de certains modes (improvisation modale) permet cette différenciation, et cette émancipation de certaines formes de musiques metal par rapport à un "rock basique". Décloisonnement. Dissonant par moment certes, donc "moderne" et pathologique par endroit mais cependant contestataire  vis-à-vis de cette (post-)modernité. Ce genre metal instrumental est devenu autonome et n'est plus sous la dépendance du "rock primitif" binaire, forme  la plus répandue de musique rock encore aujourd'hui. Il  accomplit, abolit et dépasse les structures primitives du rock n' roll et combat, de fait, la "cadence folle du néo-capitalisme". Basculement.

L’œuvre musicale arrache donc l'auditeur à la "quotidienneté" du temps commun, du temps de l'histoire, de son histoire. Nous pourrions tout aussi bien évoquer la lecture de certaines œuvres, ou le visionnage d'un film ou d'une pièce de théâtre qui  offrent au lecteur ou au spectateur l'occasion de réintégrer le "grand temps". Ce comportement s'apparente à une volonté de revivre d'une manière quasi-mystique un événement qui eut lieu à un moment donné dans le passé. Il ne s'agit de "voyager" dans le passé mais d’attirer ce passé vers le présent ; deux temps qui finissent alors par se confondre. 
Le metal est-il de gauche, "marxiste" (2) ? C'est ce qui préoccupe ces pourfendeurs du rock, du hard rock et des musiques metal (mais ils ont la réponse depuis bien  longtemps). Mais c'est hors-sujet pour nous. Ce que l'on peut dire c'est qu'il n'est pas "capitaliste". 
Ce que les marxistes (certains) ont voulu voir dans le jazz, c'est une (au contraire du rock) adhésion à leur courant de pensée. Le jazz c'est la révolte (histoire de l'esclavage, de la ségrégation raciale) au contraire du rock qui ne serait, au mieux, que contestation. Ils ont désiré en faire leur musique. Une bande sonore pour  accompagner l'émergence de "l'homme nouveau". Démonstration limitée.

La rébellion authentique n'est donc peut-être (et même certainement) pas, d'une part, dans le "rythme avec le swing" et, d'autre part, plus uniquement dans une rage anti-système exprimée à renforts d'anathèmes, de blasphèmes (aujourd'hui relativement communs) (1) mais dans cette volonté de (ré-)intégrer un temps fabuleux possiblement lié à une nostalgie des origines. Nous avons ici une manière confuse, non-exprimée, de dépasser sa condition humaine et de recouvrer la condition divine ou d'adopter un comportement,t mythologique. Et c'est cette condition perdue que le "moderne" chercherait à  retrouver sans en avoir conscience à travers l'écoute de certaines musiques. 

Mais cela n'intéresse pas le marxiste, le bourgeois (au sens de Flaubert) matérialiste ou le gauchiste. Même si l'individu appartenant à une des catégories ne rejette pas le metal, il ne le perçoit pas de cette manière. Pour lui, ce n'est, au mieux, que "ludicité-beuverie", s'il "accepte" cette musique.

(1) Il faudra revenir sur ce sujet. Les thématiques encore "subversives" des chansons au XXIe siècle, sont uniquement présentes dans certaines formes de hard rock ou de metal. La subversion ne vient absolument pas de la promotion d'un "individualisme" qui ne serait pas accepté ou acceptable dans une société occidentale comme l'affirment certains "spécialistes" du metal (ce dernier est entré à l'université comme objet d'étude, assurément signe de déclin d'un genre ou de genres désormais de plus en plus acceptés normalisés et donc récupérés, mais la réalité est peut-être un peu plus complexe, il faudra discuter de ce constat). Cet individualisme qui n'est pas strictement égal à l'égoïsme, n'a pas un caractère rare et est tout  à fait accepté.

(2) Pour en revenir aux analystes "marxistes" faisant du rock, la musique de la "petite bourgeoisie", fermée sur elle-même, on pourrait discuter de ce qu'est le "fan de jazz" : un petit ou moyen-bourgeois élitiste et méprisant, un sinistre personnage  nietzscheo-debordien qui s'approprie la musique noire-américaine...Il est vrai que la révolte ou la simple contestation à travers la musique ont, en effet, toujours fasciné les bourgeois. Le succès du rock, de la pop-music, du rap chez les classes moyennes ou les milieux de la bourgeoisie blanche occidentale est réel. On sait que le rap a été imposé "par le haut". Le rock, en partie.

Mais il nous faut aller au-delà de ces formules et catégorisations  lapidaires (à suivre)  

Pour aller plus loin : Musique metal et satanisme


 Lien vers :

Tony MacAlpine - Rusalka Album Premonition 

mercredi 11 septembre 2013

Musiques metal et temps du mythe



Durant la décennie 80 du siècle dernier, un phénomène particulier émerge dans le monde du hard rock et du heavy metal. Des virtuoses -ou "shredders" même si le terme n'est pas tout à fait synonyme, il est parfois employé indifféremment pour désigner ces musiciens- c'est-à-dire des instrumentistes possédant un bagage technique bien supérieur à tous ceux qui les ont précédés  (Malmsteen, Satriani, Macalpine, V. Moore et quelques d'autres...) retiennent les leçons de musiciens de hard rock et heavy metal comme Ritchie Blackmore, Randy Rhoads, Eddie Van Halen précurseurs voire prophètes dont ils accomplissent, abolissent et dépassent les œuvres en s'imprégnant de musique ancienne (mal nommée "classique")  sortent du carcan pentatonique-accords de puissance en allant fouiller dans la discographie de musiciens de jazz-rock ou fusion (Allan Holdsworth, Al di Meola...). La plupart sont étasuniens (ou naturalisés) mais les influences viennent, très souvent, des musiques savantes européennes. Pas vraiment des "rebelles" au sens ou le vulgaire peut l'entendre.  La musique avant tout. Mais en (ré-)introduisant de la "beauté" dans le metal, ils se distinguent fortement de ces cliques de groupes de suiveurs qui pataugent (déjà au milieu des années 80) dans la provocation porno-sataniste de buveurs de mauvaise bière. Là se situe véritablement la dimension subversive de ces musiciens et de leurs compositions dans la mesure où ils remettent en cause la "doxa" en matière de jeu de guitare et de compositions. Pour prétendre devenir musicien de heavy metal, il ne suffira plus désormais de ressortir des plans pentatoniques interchangeables. Concernant ce dernier point, il est évident que nombre de musiciens ne dépoussiéreront pas leur jeu pour autant, mais c'est pourtant une véritable révolution dans l'histoire du monde du rock en général (et bien au-delà) qui se produit à cette époque.

 On peut dire que la musique de ces virtuoses permet à l'auditeur de sortir du temps linéaire induit par l'homme-dieu qui s'incarne dans l'histoire (c'est bien le Christ qui a imposé une conception du temps en Occident et ailleurs) et d'entrer dans le temps sacré, mythique, fabuleux trans-historique, c'est-à-dire où présent et passé se confondent. A chaque écoute d'une pièce purement instrumentale -c'est à l'évidence la même chose qui se produit avec l'écoute d'une pièce de musique ancienne ou savante- l'auditeur réintègre non pas à proprement parler le temps que l'on réintègre à l'écoute un récit mythique dans une société traditionnelle, mais un temps fabuleux... 


Écouter une pièce de musique, qu'elle soit "classique" ou "métallique" (a fortiori instrumentale) c'est se révolter contre le temps de l'individu, se révolter contre le temps historique, transcender son propre temps et adopter un comportement mythologique.  Ce temps mythique, cyclique, n'est, d'ailleurs, pas nécessairement le temps du paganisme. Les chrétiens utilisent, en effet, des catégories de la pensée mythique. Nombre d’éléments qui apparaissent propres au christianisme relèvent de la cyclicité : l'année liturgique par exemple. Le comportement du fidèle qui réitère rituellement la naissance, la vie et la mort du Christ appartient bien à cette catégorie.

 On pourrait évoquer les différents sous-genres ou courants dérivés du heavy metal : le thrash, le death subissant tous les deux, l'influence des guitaristes virtuoses, mais surtout le black metal autre manière d'intégrer un temps fabuleux, mais aussi forme de régression musicale (il ne s'agit pas d'un jugement de valeur), de rejet de la "technique" qui se développe parallèlement au courant du metal instrumental, mais qui est pourtant aussi une forme artistique de rejet du temps de l'homme d'attitude moderne. 


Le black metal (on n'évoquera pas ici les thèmes propres à ce genre) qu'on n'opposera pas forcément à la démarche des "virtuoses"est sûrement, à sa manière, une forme de destruction d'un langage artistique, une force d'épuration, une manière de créer un chaos qui doit aboutir à un renouvellement, une nouvelle création, s'apparentant à la création d'une nouvelle cosmogonie. Un nouvel ordre cosmique succédant au chaos...
Évidemment, nous pourrions considérer qu'il en est, également, ainsi concernant l'écoute de toute pièce musicale "moderne" (metal ou pas), pour la lecture d'un roman, etc.

suite :  musique-metal-et-temps-du-mythe-2